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à l’instant une frégate en France pour demander à l’empereur d’envoyer ici une armée qui n’eût plus à compter que sur elle-même, dussé-je lui demander en même temps de la faire commander par son plus habile général. » C’est ainsi qu’on se débattait entre des impossibilités de diverse nature. De là ce système de temporisation et de compromis où les velléités belliqueuses qui se réveillaient quelquefois cédaient aussitôt au sentiment de la situation, où toutes les divergences ne faisaient que s’accroître, où faute d’accord et de ressources d’action suffisantes on ne pouvait que s’agiter dans le vide, où enfin l’on inclinait peu à peu, sous la pression de circonstances entièrement imprévues, vers un système assez distinct de celui qui avait été primitivement dans la pensée des puissances alliées.

Au lieu d’un ultimatum précis et décisif ne laissant place qu’à un refus ou à une acceptation, on adressait de la Vera-Cruz à Mexico une note collective qui était plutôt une démonstration morale qu’un acte diplomatique, et il y a ici une chose curieuse à observer : on n’avait pu s’entendre sur la présentation des réclamations européennes, qui étaient l’objet immédiat de l’alliance, et on posait au gouvernement de Mexico cette question de réorganisation intérieure, sur laquelle on s’entendait peut-être encore moins ; on lui proposait de se suicider, et les plénipotentiaires s’offraient à être « les témoins et au besoin les protecteurs de la régénération mexicaine. » Le gouvernement de M. Juarez répondit naturellement qu’il savait gré aux puissances européennes de leur sollicitude pour le Mexique, mais que le Mexique n’avait pas besoin de leur secours, que les alliés n’avaient qu’à se rembarquer tout d’abord, et puis que les plénipotentiaires pourraient se rendre avec une garde de deux mille hommes à Orizaba, où on négocierait. Ce n’était pas à la vérité une réponse bien sérieuse, et le gouvernement mexicain envoyait en même temps M. Zamacona à la Vera-Cruz pour voir les chefs alliés, pour ne pas laisser tomber la négociation, pour atténuer en un mot l’effet de la réponse officielle. Le premier mouvement du comte de Reus à cette réponse, il faut le dire, avait été de rompre immédiatement et d’entrer en campagne malgré tout ; mais il s’était bientôt laissé apaiser par sir Charles Wike, et c’est au reste ce qui arrivait périodiquement à tous les instans de crise. C’est ce qui arrivait aux premiers jours de février, lorsque le général Zaragoza, commandant de l’armée mexicaine, affectant de considérer le général Prim comme le chef de toutes les forces alliées, lui adressait une lettre d’insolente bravade pour lui signifier que, si les troupes européennes dépassaient les campemens qu’elles occupaient autour de la Vera-Cruz, il croirait de son devoir et de son honneur de général mexicain de s’y opposer