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l’Italie réussisse, au nom du droit populaire, à enlever la puissance temporelle au pouvoir spirituel, nous tenons par exemple qu’elle aura fait assez pour s’acquitter entièrement envers le libéralisme français.

M. de Cavour, avec la virile hardiesse et la sûre sagacité de sa raison, avait embrassé de cette façon et dans toute son étendue l’immense portée de la question romaine. Il savait bien qu’en inscrivant ce nom magique de Rome sur le drapeau de l’Italie, il attachait indissolublement à la cause italienne toutes les forces de la civilisation moderne, qui aspirent à séparer le domaine religieux du domaine politique et à fonder simultanément dans le monde, par la nécessité de leurs nouveaux rapports, la liberté religieuse et la liberté politique. À notre avis, la plus sérieuse des difficultés qui apparaissent dans la situation actuelle de l’Italie, est la conséquence d’une sorte d’obscurcissement qui s’est fait dans la pensée que M. de Cavour a léguée à son pays. Le présent ministère ne parle plus de Rome avec la hauteur de langage et la persévérance éloquente qu’employait M. de Cavour. À vrai dire, il n’en parle pas du tout, car les honnêtes espérances exprimées par le général Durando à la fin de son discours sur la politique extérieure de l’Italie, — discours intéressant d’ailleurs et attachant par un sincère accent de bonhomie, — sont surtout l’aveu d’une patience résignée, et n’ont pas le caractère décidé d’une réclamation légitime et fière, Il semble, et l’on comprend qu’ici nous ne pouvons parler que d’après les apparences, que l’on laisse dormir à Turin la question romaine. Or quelle est la conséquence de ce sommeil au moins apparent ? C’est une certaine hésitation dans le mouvement de l’Italie. On entend par exemple discuter cette idée : ne vaudrait-il pas mieux placer Venise avant Rome dans l’ordre des répétitions italiennes ? Doute puéril et déplacé. La question de Venise ne peut être résolue que par la guerre concourant avec certaines combinaisons diplomatiques. C’est donc une question de force et d’opportunité. Assurément, dès que les Italiens croiront pouvoir résoudre à leur avantage cette question de force ou d’opportunité, ils devront être prêts à le faire, qu’ils aient ou non pris possession de Rome ; mais il n’y a pas d’analogie entre la question de Venise et la question romaine. Pour l’une, il faut livrer bataille ; pour l’autre, il faut plaider avec l’énergie incessante d’une conviction morale ; l’une dépend de l’occasion, l’autre est liée au droit, et la puissance qui en ajourne la solution, la France, est désarmée contre ce droit par les principes de sa révolution. Rien de plus oiseux par conséquent que d’engager une discussion sur la priorité qu’il conviendrait de donner à Venise ou à Rome. Malheureusement le silence trop circonspect du ministère actuel de Turin a des conséquences plus graves. Par ce silence, il semble abandonner la direction morale du mouvement italien ; c’est le parti de l’action qui a l’air de s’en emparer. Tandis qu’à Turin le ministère se renferme dans une réserve qui a l’intention d’être prudente et habile, Garibaldi est en Sicile, au foyer même de sa popularité. Le héros passionné de l’indé-