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richesses de la nature. Quel paradis terrestre nous révèlent ces figues, ces amandes, ces raisins de Corinthe, ces olives et ces vins délicats ! On a dit que l’archipel ionien avait envoyé aux Anglais son soleil en bouteilles. Les produits fabriqués dans ces îles heureuses ne sont pas moins remarquables et se ressentent aussi de l’influence de la lumière : ce sont des broderies d’or, des costumes fastueux, des sachets, une mitre de l’archimandrite septinsulaire, et des peintures byzantines exécutées l’année dernière, mais qui sont exactement dans le même style que celles du temps des Commènes.

Une autre puissance européenne, quoique placée à l’extrême nord, a gardé avec les races orientales des liens qui s’étendent plus ou moins à son industrie. On a dit d’elle que c’était un rameau de l’arbre asiatique tombé dans la glace. N’ai-je point nommé la Russie ? La race slave se détache vaillamment du groupe des civilisations immobiles par l’ensemble de ses caractères et surtout par cette puissance de travail qui sait conquérir et féconder un sol ingrat ; mais cette force aveugle, cette tyrannie des faits que la Russie a vaincues dans la nature pèsent encore sur ses institutions, et malgré d’incroyables progrès limitent son essor dans l’ordre moral et économique. Quoi qu’il en soit, la Russie semble avoir voulu se venger de sa défaite de Crimée en déployant aux yeux de l’Europe les ressources de son dur climat et de sa courageuse industrie. À la bonne heure, c’est là une vengeance que nous aimons. Je la loue aussi d’avoir été plus sobre cette fois dans l’étalage de ses richesses matérielles, telles que les portes de malachite, les coffrets de jaspe, les branches de diamans, les étoffes d’or, qui rappelaient un peu trop en 1851 la magnificence barbare des despotismes asiatiques. C’est sur un autre terrain qu’elle transporte aujourd’hui la lutte ; elle s’attache à l’utile, au bon marché, et l’on ne saurait trop l’encourager dans cette voie, dont il est facile d’apercevoir les conséquences sociales. Elle réclame notre intérêt pour ses produits chimiques, ses peaux de chamois, de daim et de renne, ses cuirs, dont elle étale une immense variété, ses grains, ses couvertures de lit, surtout ses mouchoirs de poche, qui se vendent au marché de Moscou, sous les murs même du Kremlin, pour la modique somme de 40 kopecks. Qu’on n’aille pas croire pour cela qu’elle ait renoncé à nous entretenir de ses traditions et de ses richesses nationales. Sous une des cases de verre rayonne une Bible qu’on évalue à 100,000 francs, imprimée dans la vieille langue slavone, dont le patriarche Philarète lui-même renonce à lire les caractères, et toute garnie de turquoises, de diamans, d’améthystes, montés sur une reliure de métaux précieux. Au fond de la cour russe (cour est le nom que les Anglais donnent à certains départemens de l’exposition) figure un grand tableau qui était d’abord passé presque inaperçu jusqu’au mo-