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Porte-Feu : le fils de Thémis, devinant l’avenir, conseillait aux titans de ne pas s’insurger contre Jupiter. Voyant ses conseils méconnus, il se rangeait du côté du vainqueur désigné par la destinée et l’aidait à triompher de ses rudes ennemis ; mais lorsque Jupiter voulut étendre aux hommes la haine qu’il portait aux titans et les faire périr de misère et de besoin, Prométhée eut compassion d’eux, déroba le feu aux demeures éthérées et l’apporta aux hommes dans une tige de férule. Ici la vieille tradition demeure intacte ; mais au rebours du récit d’Hésiode, c’est Prométhée lui-même qui sculpte et anime Pandore. Si, comme nous l’avons dit, Pandore est la civilisation née de l’usage du feu, cette variante vaut mieux que la première.

La seconde tragédie, Prométhée enchainé, est la fleur épanouie de la plante dont nous avons retrouvé la racine. La scène commence par un dialogue entre Force et Violence d’un côté, Vulcain de l’autre, qui amènent le titan au lieu de son supplice. Vulcain est le type de l’obéissance passive. Parent au fond de Prométhée, bon et honnête caractère tant qu’il n’a qu’à suivre ses propres inspirations, il devient par soumission envers l’autorité l’instrument d’une vengeance qu’il trouve lui-même exécrable. Il faut en effet qu’il enchaîne Prométhée sur un âpre rocher de Scythie et le rive à la pierre avec des chaînes que rien ne puisse rompre. C’est presque en demandant pardon à Prométhée qu’il se met à l’œuvre. Aussi pourquoi Prométhée a-t-il été se brouiller avec Jupiter pour l’amour des hommes ? Comment n’a-t-il pas prévu que Jupiter, nouveau-venu sur le trône du monde, est soupçonneux et violent ? Un moment le forgeron ne peut s’empêcher d’admirer comme son ouvrage est bien fait ; mais son bon naturel reprenant le dessus, lorsque tout est fini, il s’emporte contre Force et Violence, qui ne répondent que par l’ironie.

Alors commence une scène solennelle. Prométhée, qui s’était tu tant que ses bourreaux avaient été là, exhale son gémissement amer. Abandonné des dieux et des hommes, il prend à témoin la nature entière des maux immérités qu’il endure : « O divin éther, vents aux ailes rapides, ô sources des fleuves, et toi, rire incommensurable des mers, et toi, terre, universelle génératrice, et toi, disque du soleil qui vois toute chose, venez contempler les douleurs que les dieux infligent à un dieu ! » Cette sympathie de la nature pour le génie persécuté est une des belles conceptions du drame. Prométhée n’a pas eu tort de lui adresser sa plainte. Un bruit d’ailes frappant les airs se fait entendre. Ce sont les Océanides, les filles d’Océan, ses belles-sœurs et ses cousines, qui ont entendu dans leurs antres humides le bruit du marteau de Vulcain, et qui « pleurent des nuées de larmes » en voyant leur frère dans cet affreux