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état. Ce sont elles qui formeront le chœur. Frêles et douces créatures, pleines de tendre sympathie pour celui qui souffre, murmurant volontiers avec lui contre les décrets terribles de Jupiter, mais craintives, timides, elles représentent cette foule d’âmes sensibles que la vue d’un malheur immérité fait fondre en larmes, mais qui inclineraient plutôt à conseiller au génie l’abdication, à lui inspirer le regret de s’être dévoué, qu’à le fortifier par des résolutions généreuses.

Devant le chœur des vierges marines, Prométhée raconte ce qu’il a fait pour Jupiter et pour les hommes. À ceux-ci il a donné l’espérance qui console et le feu qui ranime. Ce qui arrive ne le surprend pas, il avait tout prévu ; il ne lui reste plus qu’à supporter fièrement son malheur, et, comme les sympathies des Océanides lui font du bien, il les prie de se rapprocher de lui pour le voir de plus près. Les Océanides s’approchent ; leur sympathie est féminine. Toute prompte et sincère qu’elle soit, beaucoup de curiosité s’y mêle. Au même instant arrive le père Océan. Renfermé dans une sorte de passivité indifférente où la vieillesse finit souvent par voir la sagesse, il n’opposa qu’une majestueuse insouciance aux révolutions dont le ciel et la terre sont le théâtre. Comme son frère Saturne, le vieil Océan se voit préférer des dieux plus jeunes ou plus accessibles, mais il n’en est nullement jaloux et ne cesse pas pour cela d’occuper l’humide élément avec ses nombreuses filles, peu désireux de lutter contre Jupiter ou son frère Neptune, sachant bien d’ailleurs qu’on ne l’inquiétera pas lui-même dans son insondable empire. On dirait qu’il en a tant vu qu’un certain scepticisme à l’endroit des grands changemens s’est emparé de son esprit. Se soumettant sans murmure aux pouvoirs de fait, il est satisfait de ce qu’il a, mène une vie honorée et paisible, et conjure son pauvre neveu, qu’il estime et qu’il aime, de se soumettre aussi au plus fort, de s’humilier devant Jupiter. À cette condition, le bon oncle intercédera lui-même auprès du souverain des dieux ; mais ce conseil échoue devant l’indomptable fierté du titan. Il ne veut entendre parler ni d’intercession, ni de soumission. Plutôt tout endurer que de recevoir une grâce de Jupiter ! Océan ne peut contester la noblesse de ces sentimens ; mais, ne pouvant non plus les approuver, voyant que ses insistances sont inutiles, il s’en retourne comme il était venu, presque fâché de s’être dérangé, « lui et son cheval ailé, qu’une course si longue doit avoir fatigué, et qui certainement sera bien aise de se reposer. »

Le chœur des Océanides et Prométhée sont de nouveau seuls. Le chœur chante en vers plaintifs l’immense commisération dont les peuples à l’entour sont émus pour le divin martyr, et ceux qui