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songes qui lui mettaient l’ambition au cœur tout en la remplissant d’inquiétudes. Elle entendait en rêve des voix séductrices. Elle implore du savant Prométhée la révélation de ce qui l’attend encore. Io est comme lui victime de Jupiter ; mais la différence est que Prométhée lutte énergiquement, résiste avec audace, va même jusqu’à braver le pouvoir brutal qui enchaîne son corps et ne pourrait asservir son esprit, tandis que la fille plaintive d’Inachus est misérablement et malgré elle poussée vers la couche fatale à la fois et glorieuse du souverain des dieux. L’un est actif dans sa poursuite de l’idéal, l’autre est passive sous un pouvoir vainqueur. L’un pousse la plainte jusqu’au blasphème, l’autre ne sait que se lamenter sans songer même à se soustraire à l’attrait qui la fascine. Prométhée trouve encore la force d’encourager et de consoler la pauvre exilée. D’ailleurs sa prescience lui révèle que Io doit être mère d’une lignée glorieuse d’où sortira son libérateur à lui-même. Il lui indique un itinéraire bizarre qu’elle doit suivre pour se rendre en Égypte. Là, son union définitive avec Jupiter la rendra mère d’Épaphus. À la troisième génération, issue de cette union divine, naîtra un vaillant archer qui délivrera l’ami de l’humanité.

Le chœur cependant se flatte de continuer à vivre dans sa tranquille obscurité et de ne jamais être aimé de Jupiter. Puis le taon impatient recommence à piquer « la vierge cornigère, » qui s’enfuit désespérée où les destins l’appellent. La pauvre humanité, faible et plaintive, a beau s’arrêter dans son long pèlerinage pour écouter un voyant dont les paroles lui dévoilent la destinée et l’encouragent, l’ordre marche marche toujours, ne tarde jamais à retentir ; il faut bien qu’elle reparte, le flanc ensanglanté, et qu’elle aille au-devant de cet idéal qui l’attire à la fois et l’épouvante. Mais qu’elle ne renonce jamais à l’espérance. Prométhée, qui voit de plus loin et de plus haut qu’elle, sait bien que le taon insatiable qui s’acharne après elle la mène, à travers sa passion, au point marqué d’en haut où la délivrance doit s’accomplir et les gémissements se changer en cris de triomphe.

Ici en effet se dévoile la pensée fondamentale du poème. Déjà confusément indiquée dans les dialogues de Prométhée avec les Océanides, plus clairement énoncée dans l’entretien avec Océan, elle est enfin nettement exposée dans le discours tenu à Io. Hardiesse inouïe ! blasphème plein de mystère ! Prométhée prédit en termes on ne peut plus fermes que Jupiter à son tour cessera un jour de régner. Du moins, s’il ne prend pas conseil de Prométhée, qui seul pourrait lui indiquer le moyen d’échapper à une ruine certaine, la malédiction de son père Saturne s’accomplira sur lui, de même que Saturne, malgré ses cruelles précautions, a dû succomber à la fin