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nous. » D’autre part on répond : « Nos lois ne sont si pénétrantes et si prévoyantes que parce qu’elles ont tantôt à suppléer le caractère national en certaines lacunes, à faire ce qu’il ne ferait pas, tantôt à lui complaire et à l’interpréter dans ses tendances. »

Les deux propositions sont plausibles et se tiennent merveilleusement en échec. Comment sortir de là ? Je n’en vois qu’un moyen, qui est de remonter à l’essence du naturel français, d’en saisir les traits primitifs, les purs élémens. Cela fait, on verra bien ce qui peut appartenir à ce naturel dans les choses mêmes qui comportent l’action des lois, l’influence officielle, et qui passaient pour purement imputables à cette influence. Ainsi, dans le cas actuel, l’inertie relative qu’on observe parmi nous pourrait à toute rigueur être considérée comme un effet d’éducation politique, comme le vice d’un peuple qui fut toujours chargé de règlemens excessifs. L’hypothèse est violente ;… on suppose là un pur machiavélisme ou une pure fantaisie, et cela chez tous nos gouvernemens sans exception, alors qu’ils ont été tant de fois renouvelés, corps et âme ! Je veux bien toutefois que l’hypothèse soit proposable ; mais qu’en restera-t-il si l’on découvre au fond même de la nation quelque chose pour expliquer et pour fonder cette abondance de gouvernement sans laquelle on ne nous a jamais vus ? Ce que vous prenez pour un fait politique et arbitraire est peut-être un fait naturel, une expression de la race.

On va me dire que je procède moi-même par supposition, que tout cela ne résout rien, qu’il reste à savoir comment on découvre le naturel d’un peuple, et singulièrement celui de la France. J’avoue que rien n’est moins simple ; on ne saurait même rien imaginer de plus complexe que ce sujet, un peuple, — c’est-à-dire toutes les époques, toutes les classes, tous les climats, toutes les variétés d’idées et de conduite à reconnaître et à fixer en quelques traits généraux. Il me semble toutefois que je vais pénétrer le naturel d’un peuple, si je le cherche dans certaines choses où les lois n’ont pas de prise, où l’influence officielle n’a pu rien créer ni rien empêcher, si je l’étudié en ces fibres intimes et souveraines, impalpables à toute grossièreté de balance, de glaive, de compas… Telles sont au plus haut point les choses de langage et d’esprit. Est-ce que là enfin je ne vais pas voir un peuple dans la pureté de ce qui le constitue ? Est-ce que les hommes ne sont pas ingouvernables et inaltérables en ces sources profondes ? Où le maître n’a pas accès, le naturel doit paraître tout entier.

Dans ce dessein, arrêtons-nous sur deux faits que nul ne conteste : l’universalité de la langue française, la contagion de l’idée française, Il suffit, ce me semble, de les énoncer. Chacun sait comme la diplomatie et le Nord parlent français ! Ailleurs, où il n’est pas la langue courante, il est la science des classes supérieures, un article