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d’éducation littéraire ou même simplement mondaine, une élégance de mœurs qu’elles n’auraient garde de négliger. Quant au caractère contagieux et sympathique, quant au rayonnement dont est douée l’idée française, cela est écrit en traits de feu dans l’histoire des temps que nous traversons. Certes les révolutions n’ont manqué nulle part au monde moderne ; mais il est bien connu que celles qui naissent entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées franchissent les fleuves et les monts. La France fait sur elle-même des expériences politiques à l’usage du monde entier. Ce qu’elles valent, pour mon compte, je ne le mets pas en doute ; mais comme chacun le juge à sa manière, comme ce jugement n’est pas nécessaire ici, et que j’ai bien assez de l’épine que je tiens en ce moment, je veux seulement constater le fait de la diffusion innée, du débordement organique pour ainsi dire qui appartient aux révolutions françaises. Un apôtre avec charge d’âmes, une langue de feu sur les peuples, telle nous apparaît la France, avec l’idiome et l’esprit conquérans, expansifs, universels, qui la constituent.

Or d’où viennent-ils, ces fiers gallicismes ? Ce n’est pas de la loi, bien sûr. Nulle institution, que je sache, ne crée des grammaires et des propagandes. De quelles facultés primitives, irréductibles, sont-ils donc l’indice et l’expression ? Il faut y voir, si je ne me trompe, le fruit nécessaire de ces deux choses : sociabilité, esprit philosophique. Pour que la langue d’une nation ait le don de plaire et de se naturaliser partout comme Alcibiade, pour que l’usage en prédomine soit dans les affaires des peuples, soit dans la conversation des honnêtes gens, il faut qu’elle ait été assouplie et perfectionnée par le commerce assidu des esprits les plus variés, qu’au lieu d’être un idiome de mandarins, réservé aux lettres et aux sciences, ou bien une petite monnaie propre seulement à la circulation des idées vulgaires et courantes, elle soit l’œuvre et l’expression de tous, intelligible pour tous, une moyenne accommodée aux choses les plus grandes comme aux plus déliées et aux plus fugitives. La sociabilité est seule capable de créer un pareil langage, souple, facile, étendu, nuancé, car il n’appartient qu’à elle de mettre en présence les classes et les conditions les plus diverses, avec la loi d’abdiquer chacune le technique, le professionnel, et de créer pour s’entendre l’instrument le plus capable d’un échange universel d’idées. Ainsi la sociabilité de la France explique ce que sa langue a d’universel. Ce que ses idées ont de contagieux procède d’un principe non moins certain : l’esprit philosophique, cet autre attribut de la France.

La philosophie est de franchir en toutes choses le temporaire, le local, le particulier, et de poursuivre la raison des choses, la règle des faits, les rapports essentiels des êtres par-delà tout ce qui s’appelle tradition, convention, lois positives, accident, apparences. Un