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en sarcasmes contre les lawyers. « Plût à Dieu, s’écria-t-il, que l’Angleterre fût gouvernée par la loi et non par les légistes ! » Et cependant qu’est-ce que l’esprit légiste dont Burke faisait litière à ce moment, si ce n’est l’esprit traditionnel, arboré d’ailleurs et revendiqué par lui avec tant de véhémence, comme la sagesse, comme l’esprit même de la Grande-Bretagne ? Tenir aux textes ou aux précédens, s’arrêter à la lettre des lois ou à la limite des coutumes, n’est qu’une seule et même superstition : ce qui est préféré à ce qui doit être.

Tout n’est pas à glorifier dans cette continence où se plaît la Grande-Bretagne ; on peut même dire que tout n’y est pas équilibre et sûreté. Les Anglais firent une périlleuse expérience au commencement de ce siècle, quand, ayant promis le droit politique à l’Irlande pour prix du parlement irlandais qui venait d’être aboli, ils ne purent tenir leur engagement, empêchés par le veto de la couronne. Une pauvre tête portait cette couronne, George III, préludant à la folie par le bigotisme. Ne croyait-il pas avoir prêté contre l’Irlande catholique son serment de roi ? Dans cette imagination, il s’arma violemment de toute sa prérogative contre ses ministres, contre son parlement, qui marchaient dès lors à l’émancipation des catholiques. Rappelez-cous que c’étaient de glorieux ministres, Pitt en tête, et que la chambre des communes, en ces temps critiques, votait comme un seul homme et procédait à coups de majorités énormes. Le roi s’exposait donc, mais surtout il exposait le pays. Quoi ! désespérer l’Irlande, quand on a devant soi la France en armes au camp de Boulogne, quand Trafalgar n’a pas encore anéanti la marine de la France et de ses alliés ! Il y allait de tout.

Cependant ces hommes d’état, les plus hardis que l’Angleterre ait jamais eus, ce parlement aristocratique, cette majorité compacte et acquise à toutes leurs audaces, tout cela, dis-je, qui n’était pas moins que l’élite du pays, s’arrêta court devant le scrupule d’un bigot qui devait finir en idiot, mais qui parut inviolable, retranché dans son for intérieur et constitutionnel. Il fallut que l’Irlande attendît trente ans son émancipation. Elle ne servit pas pour cela d’alliée et de pied-à-terre à l’invasion française, le hasard des batailles ayant détruit nos moyens de transport ; mais pendant ces trente années l’Irlande, perdue d’incendies et de meurtres, devint inhabitable : on y vit l’absentéisme, la scission des classes, un gouvernement de police, un débordement de misère à fatiguer encore, après cinquante ans, les finances de la Grande-Bretagne, un empoisonnement de haines et de colères, où la haine de prêtre elle-même n’était qu’un détail. Voilà ce qu’il en coûta à l’Angleterre pour avoir déféré quand même à la prérogative de son roi. Il faut voir tout au long le récit de ces perplexités, de ces angoisses dans les mémoires récemment publiés de sir Robert Peel. On me dira que l’Angleterre