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l’impôt en fait de travaux publics, en un mot cette notion compréhensive de l’intérêt général, des devoirs de l’état, des dépenses du souverain, qui embrasse tant de besoins et d’intérêts particuliers.

Dans tout cela d’ailleurs, rien de bien alarmant. Ce que nous avons voulu dire, c’est que le communisme est un élément entre autres de nos institutions, une des allures que prend volontiers la loi française. Il ne résulte nullement de l’exposé qu’on a lu qu’il en soit le principe unique et fondamental. À ce point de vue, notre société n’a rien de lamentable, et même il y aurait lieu de la congratuler. En effet, si quelque chose recommande et fortifie une société, c’est de pouvoir montrer à sa base des élémens nombreux et variés. Que de mérites dans ce seul mérite ! D’abord elle ressemble à l’individu, elle répond et se proportionne à son objet, qui a toujours passé pour complexe et onduleux. Ensuite elle ne ressemble pas aux sectes dont la manie est de livrer tout à un seul principe ; elle n’est ni saint-simonienne, ni icarienne, ni fouriériste. L’unité est le grand mal à éviter : c’était le mal de l’antiquité, frappant de décadence tantôt un peuple, tantôt un autre, pour abus de l’unique chose dont il vivait, théocratie ou démocratie. Il n’est pas de bonne chose, fût-ce la religion, dont ne périsse un peuple, si c’est là tout son régime. D’un autre côté, telle chose équivoque, prise à dose convenable, peut être d’un bon service social : voyez plutôt l’égoïsme, où manque la moralité, mais où abonde la force.

Il y a de bonnes raisons pour que la société ne supporte pas l’empire absolu d’un seul principe : c’est que l’homme, la substance sociale, n’est pas un. On vit bien quelque chose de tout autre dans l’antiquité : çà et là des pays purement démocratiques, d’autres purement sacerdotaux, quelques-uns au pouvoir d’une caste ou d’une dynastie. Plus néanmoins les sociétés se développent, plus vous y voyez paraître toute la nature humaine sous forme de droits plus étendus, de sentimens plus sympathiques, de travaux plus variés, de forces et d’aspirations nouvelles qui se tiennent en respect les uns les autres. Que ne découvre-t-on pas de nos jours ? L’égalité devant la loi, la dignité du travail, l’homme sous le nègre, la richesse hors du sol, la Providence dans l’histoire, la tolérance et l’indifférence en matière de religion. Tel est le train immémorial du progrès, tel est le fonds d’équilibre et de variété qui s’établit sous ses pas. Une société en est-elle à ce point, la dernière aventure qu’elle ait à craindre, c’est l’invasion de quelque principe nouveau et absolu.

Ainsi un principe n’est point à répudier par cela seul que, dans sa plus grande élasticité, il confine logiquement aux abîmes. À cette épreuve, tous les principes sont mauvais, désastreux ; la société aurait à se défier de toutes ses bases et ferait aussi bien de rentrer dans le néant. On sait parfaitement de quoi la démagogie, le despotisme,