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l’espace d’un pouce carré. L’objet de cette invention est de marquer les billets de banque d’une signature imperceptible à l’œil nu, et de déconcerter ainsi la contrefaçon. Un autre instrument résout les problèmes mathématiques et fait les calculs les plus compliqués, puis imprime lui-même ses résultats ; on s’en sert déjà dans les administrations du gouvernement, à Somerset-House, où cette machine travaille jour et nuit pour dresser les tables d’annuités et les autres colonnes de chiffres. Dans un moment où la marine semble à la veille de subir une transformation importante, l’amirauté anglaise n’a pas oublié d’envoyer des modèles de navires invulnérables. N’est-il point aussi intéressant de retrouver dans l’industrie des races un reflet de leur vie domestique ? Un moraliste pourrait observer qu’il y a dans chaque pays un objet auquel la main-d’œuvre donne une attention particulière : en Italie, c’est le lit ; en France, surtout depuis Voltaire, c’est le fauteuil, symbole de la conversation ; en Angleterre, c’est le coin du feu. Les de vans de cheminée, les garde-feu, les pelles et les pincettes d’acier poli développent, à différens degrés sans doute, un luxe, un éclat, une puissance de réflexion métallique où se mire en quelque sorte tout un côté des mœurs anglaises[1].

Toutes les richesses de la civilisation figurent dans le palais de l’industrie ; il nous reste à voir comment elles s’engendrent, et il nous faut entrer pour cela dans une immense salle recouverte de verre, où se trouvent groupées les grandes machines. Bon nombre de ces machines sont en mouvement ; elles agitent leurs membres cyclopéens, font tourner des milliers de roues et poussent de temps en temps le soupir de la force aveugle enchaînée par la main de l’homme. Là on voit naître les étoffes, se transformer le coton sur des métiers d’une longueur prodigieuse et dont chaque organe représente un ouvrier, se soulever ou retomber des masses d’eau[2], en un mot la matière au service d’une idée se tordre et manœuvrer sous toutes les formes pour accumuler les produits. Ce spectacle est grand, il est moral, car il nous enseigne que c’est par la science et le travail que se développent les richesses. La couronne et la souveraineté du monde industriel ne s’usurpent point, elles se conquièrent à la sueur du front. Tous les pays de l’Europe sont représentés dans le vaste département des machines ; mais sur ce terrain pratique de la force et de l’action la supériorité appartient sans contredit à l’Angleterre. Au milieu des mille pulsations du fer et de l’acier

  1. Il faut surtout citer un manteau de cheminée en marbre blanc, avec des bas-reliefs exécutés par feu le sculpteur John Thomas, et qui représente le Songe d’une nuit d’été.
  2. Parmi les merveilles de ce monde des machines figure en effet une pompe centrifuge en forme de temple, d’où s’épanche une cascade artificielle aussi puissante et aussi abondante que beaucoup de chutes d’eau que les touristes anglais vont visiter à grands frais dans les rochers de l’Yorkshire et du Cumberland.