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II

Cette influence si habilement acquise en Allemagne avait pourtant ses inconvéniens en Bohême. Le parti catholique s’était empressé d’applaudir à l’ambition du roi George et de l’encourager dans cette voie ; plus le roi devait être mêlé aux affaires de l’Allemagne, plus aussi on avait lieu d’espérer qu’il abandonnerait peu à peu les hussites et leur archevêque, maître Rokycana. Les hussites comprirent le danger, et déjà grondaient les murmures. Une fermentation extraordinaire ne tarda pas à éclater ; il fallut sévir contre ces esprits exaltés qui ne manquent à aucune révolution, et qui ont surtout beau jeu quand une révolution semble mise en péril. Aux taborites dispersés et détruits avait succédé une secte moins fanatique, mais très dévouée à sa foi j et d’où est sortie plus tard cette communauté des frères de Bohême qui jouera un rôle si important dans l’histoire religieuse de l’Allemagne. Il y avait dans ce parti des savans et des gens du peuple, des maîtres de l’université de Prague et de pauvres ouvriers. On chassa les savans, on jeta les ouvriers en prison. Les plus opiniâtres furent soumis à des traitemens cruels. Un gentilhomme devenu moine, et, comme Bossuet l’a dit de saint François d’Assise, amateur désespéré de la pauvreté, était un des principaux chefs du mouvement ; il se faisait appeler seulement « frère Grégoire, » et, sans aucun désir de domination personnelle, il exerçait un ascendant extraordinaire sur les âmes pieuses. On prétend qu’il fut mis à la torture. Il échappa cependant au supplice, et ce fut lui qui organisa dans la suite la communauté des frères de Bohême. Le roi George, en frappant les nouvelles sectes comme il avait frappé les taborites, était fidèle à son serment. Il se peut aussi que ces rigueurs, si surprenantes de la part d’un tel homme, fussent le résultat d’un calcul : il était sur le point d’entamer des négociations définitives pour le maintien des compactats du concile de Bâle, et il voulait prouver à la cour de Rome que les hussites eux-mêmes savaient réprimer l’hérésie. La Bohême cependant n’était pas disposée à comprendre sa politique. Que ce fût un loyal désir d’exécuter ses engagemens ou un moyen de se concilier le saint-siège en faveur du culte national, les esprits alarmés y voyaient autre chose. Au moment même où l’on persécutait les exaltés, l’évêque de Breslau, croyant le moment propice, s’en vint prêcher dans la cathédrale de Prague contre l’usage de la coupe. Aussitôt la ville entière se souleva, et l’évêque fut chassé. « Nous sommes trahis ! criaient des milliers de voix. George veut devenir roi des Romains, coadjuteur de l’empire, et, pour gagner la confiance des Allemands, il sacrifie les intérêts de la Bohême. Que nous sert d’avoir