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de princes dans la pensée du roi de Bohême ? Un moyen de lutter contre le pape, mais aussi un moyen d’affermir, de consolider l’état présent de l’Europe. On voit bien le prix que devait y attacher George de Podiebrad, le hardi parvenu, l’héritier d’une révolution partielle, qui ne songeait plus qu’à maintenir son œuvre. Toutefois l’Europe du XVe siècle, cette Europe encore enveloppée dans mille complications féodales, cette Europe qui travaillait à l’enfantement des nouveaux peuples, pouvait-elle-se confier à une institution de ce genre ? Ces grandes magistratures ne sont possibles qu’entre des nations adultes, au moment où l’équilibre général s’établit. Le roi de France, pour ne parler que de lui seul, avait encore une moitié de la France à conquérir. Il faut répéter ici les vives paroles de M. Michelet sur la politique de Louis XI : « Ce n’étaient pas seulement les primitives vieilleries du moyen âge, c’étaient les parlemens et universités, secondes antiquités, ennemies des premières, que ce rude roi maltraitait. Naguère importans, redoutables, ces corps se voyaient écartés, bientôt peut-être, comme outils rouillés, jetés au garde-meuble… Les machines révolutionnaires les plus utiles aux siècles précédons risquaient fort d’être à la réforme sous un roi qui était lui-même la révolution en vie. » Voilà le vrai point de vue ; cette pensée juste et forte nous aide à rectifier la sentence de M. Palacky. Le projet de George de Podiebrad était aussi une machine révolutionnaire, non pas vieillie, usée, mais d’un emploi dangereux ; organisée trop tôt, elle pouvait arrêter la révolution. La révolution en vie, ayant sa tâche à poursuivrez l’écarta sans la condamner. Louis XI, avec sa vue perçante, ajournait à cent cinquante ans le parlement des rois et des nations.

Si Podiebrad avait échoué dans l’audacieuse entreprise qui devait le mettre à l’abri des coups du saint-siège, Pie II n’avait pas mieux réussi dans ce projet de croisade combiné à la fois pour repousser l’invasion ottomane et vaincre la rébellion du Bohémien. Le pape avait su que le roi de Bohême songeait à marcher contre les Turcs. Il le voyait déjà, pacificateur de l’Allemagne, joindre à sa redoutable armée quelques-unes des troupes de l’empire, et prendre l’initiative d’une guerre qui allait le consacrer désormais aux yeux de la chrétienté. Impatient de lui ravir une gloire dont il ne le croyait pas digne et qui le rendrait invulnérable, poussé d’ailleurs par sa foi, par son généreux enthousiasme, par la colère que lui inspirait l’apathie de l’Occident, il prit lui-même le commandement de la croisade. Il avait dit un jour : « Si le vicaire de Jésus-Christ, entouré de ses frères les cardinaux, marche le premier au combat sous-la bannière de la croix, il n’y aura pas un roi, pas un prince, pas un seigneur, pas un homme d’armes dans toute la chrétienté, qui soit assez lâche pour rester en arrière. » Il partit donc de Rome pour Ancône