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de ne pas conclure sur le mystère de la vie, et puis de proclamer et de maintenir, en face des hypothèses et des tâtonnemens de la physiologie, les titres et les droits de sa sœur aînée, la psychologie, car la physiologie est d’hier : elle date d’Harvey, comme la chimie date de Lavoisier. La psychologie remonte à Socrate, et dès Aristote elle a été constituée par des travaux immortels.

On entend célébrer à grand bruit la gloire des sciences physiques et naturelles. Rien de plus légitime, et certes il y aurait de l’ingratitude à ne pas reconnaître la beauté de leurs découvertes et le bienfait de leurs applications ; mais regardez ces sciences, non pas du côté pratique, mais du côté spéculatif : demandez-leur, non plus ce qu’elles procurent d’agréable à notre corps, mais ce qu’elles apprennent à notre esprit ; vous serez confondu de l’immensité de leurs lacunes. La physique, la chimie, la physiologie amassent des myriades de faits, découvrent chaque jour de nouvelles lois. C’est à merveille ; cependant un fait n’est qu’un fait, et une loi n’est qu’un fait encore, un fait généralisé. Je demande maintenant à comprendre le fait, et il n’y a qu’un moyen pour cela, c’est de m’éclairer sur la cause. La loi de la gravitation universelle est admirable. C’est une belle loi aussi que celle des équivalens chimiques et celle des proportions multiples. Les découvertes de Bell et de Magendie sur le rôle distinct des nerfs de la sensibilité et des nerfs du mouvement sont les plus intéressantes du monde ; mais quand vous me parlez de gravitation, d’affinités chimiques, d’action musculaire et d’action nerveuse, me parlez-vous d’un fait ou d’une cause ? La gravitation comme fait est un mouvement, cela est clair ; l’action musculaire comme fait est aussi un mouvement, rien de plus simple ; mais la cause ? Quelle est la cause de la gravitation ? Direz-vous que c’est l’attraction ? Pure métaphore. Autant vaudrait parler des sympathies des corps à la façon des alchimistes du XIIIe siècle. Je répète donc que tant qu’il s’agit de constater les phénomènes de la gravitation, de l’affinité, de l’action nerveuse, et de ramener ces faits à une forme générale, les sciences s’en acquittent parfaitement ; mais s’agit-il de comprendre ces phénomènes, de savoir quelle est la cause de l’attraction, quelle est la cause de l’affinité, quelle est la cause de la vie, voilà ce que la physique, la chimie et la physiologie ne m’apprennent pas. La psychologie, tant dédaignée de certains savans, n’a pas les découvertes inattendues et les applications éblouissantes de la physique et de la chimie ; mais elle a un avantage incomparable : elle saisit une cause. Au-delà des faits, au-dessus des lois, elle atteint un principe, elle le saisit d’une prise immédiate, elle peut le décrire, l’analyser et en marquer les attributs essentiels. Cette cause, c’est l’être qui a conscience de lui, c’est le principe qui sent, qui pense, qui veut,