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Maintenant à quoi tiendrait cette supériorité des produits français ? Les uns disent qu’elle vient de la qualité de nos fers, qui, étant naturellement plus doux, ceux surtout qui sont traités au bois dans le Berry, en Algérie, dans les Pyrénées, sont aussi moins cassans que les fers anglais, plus élastiques, moins facilement entamés par le choc du boulet. D’autres prétendent que nous devons nos avantages aux procédés de la fabrication. Est-ce le hasard, est-ce une direction plus attentive et plus éclairée, qui nous a fait du premier coup mettre la main sur le procédé de fabrication qui serait le meilleur ? Quoi qu’il en soit, la cuirasse anglaise ou française de 4 pouces et demi ou de 12 centimètres d’épaisseur a mis hors d’usage toute l’ancienne artillerie, et plus encore que tout le reste les canons et les projectiles de l’ancienne artillerie qui dans leur temps passaient à bon droit pour être les plus redoutables. C’est la vérité pure et simple ; mais comme elle peut sembler paradoxale, il ne sera sans doute pas inutile de l’expliquer.

Jusque vers 1820, l’artillerie des bâtimens de mer différait très peu de celle qui s’employait à terre, sauf la carronade, arme à courte portée, à tir très inexact qui figurait seulement sur les gaillards ou dans les batteries à barbette, mais qui rendait de bons services dans les combats engagés de près, et qui surtout avait l’avantage de pouvoir être manœuvrée par un très petit nombre de canonniers. Sauf la carronade, l’artillerie des vaisseaux ne se composait que de pièces exactement pareilles à quelques-unes de celles qui jouaient leur rôle à terre dans les sièges, sur les remparts ou sur les côtes. Depuis le calibre de 12, qui composait l’armement des batteries des petites frégates, jusqu’au 36, qui faisait l’orgueil de la batterie basse dans les vaisseaux à trois ponts, et en passant par le 18, le 24 et le 30, bouches à feu et projectiles de la marine ou de l’armée étaient les mêmes et fonctionnaient dans les mêmes conditions, c’est-à-dire à raison de charges de poudre égales au tiers du poids du boulet pour le tir dit de plein fouet dans l’armée et le combat sur les vaisseaux. Mais si les marins avaient la carronade, par contre ils ne savaient faire usage ni des feux courbes, ni des projectiles explosibles et incendiaires, ailleurs que sur leurs bombardes, qui n’étaient pas des bâtimens propres aux batailles navales.

Telle était la situation, lorsqu’un officier de l’armée, le chef de bataillon, depuis général Paixhans, se mit à étudier la question pour le compte des marins. Il y fit une révolution complète, et qui n’est pas sans analogie avec ce qu’avait fait Vauban lorsqu’il introduisit le tir à ricochet dans la guerre de siège. Vauban prouva par l’expérience qu’en tirant les canons à charge réduite, et sous un grand angle, le projectile animé d’une vitesse comparativement très faible