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tout à coup, éclatent comme le feu qui jaillit du caillou, comme l’étincelle qui couve sous la cendre. Ce sont là ces rapidœ cogitationes de saint Augustin, ces perceptions sourdes de Leibnitz, tout un monde de faits que le rationalisme aurait d’autant plus tort de dédaigner qu’ils lui fournissent l’explication vraie de toutes les sublimités et de toutes les illusions du mysticisme. Un grand psychologue dont le nom s’est présenté bien des fois sous notre plume, Maine de Biran, après avoir, pendant la plus grande partie de sa carrière, fait effort pour établir les droits de la volonté, sentit enfin que la volonté ne se suffit pas à elle-même. Il admit qu’il y a dans l’âme humaine trois vies : la vie sensitive, la vie volontaire, enfin la vie religieuse ou mystique. Dans cette théorie, que Maine de Biran n’a fait qu’ébaucher, il y a une vérité profonde. La psychologie comprend en effet trois régions distinctes que Maine de Biran avait seulement le tort de trop séparer : au centre, la vie réfléchie, volontaire, toute resplendissante de clarté ; à côté, au-dessous, une vie obscure et subalterne, la vie animale, la vie de la bête ; à l’extrémité opposée, au-dessus, non-seulement de la bête, mais de ce qu’il y a de proprement humain dans la réflexion et la volonté, une vie sublime et obscure, qui inspire la raison, qui prévient et soutient la volonté, qui fait les saints et les héros, et jette dans les âmes, même les plus médiocres ou les plus dégradées, quelques éclairs d’héroïsme, quelque instinct confus du grand, du beau et du saint. Cette partie angélique et, presque1 divine de l’âme humaine, Malebranche la signalait sous le nom de grâce naturelle par opposition à la grâce surnaturelle des théologiens ; de nos jours, M. Cousin l’a appelée spontanéité ; raison impersonnelle, et en a inauguré la théorie scientifique. Quant à Maine de Biran, il ne savait comment unir ces trois vies. Il aurait volontiers admis trois âmes. L’exagération est manifeste, car une vie sensitive étrangère à la personne morale, au moi, c’est quelque chose d’inconcevable, et une vie en Dieu où le moi serait aboli, c’est la vieille illusion des mystiques, invinciblement repoussée par le sens commun.

Reconnaître ces trois formes d’une seule et même vie, en déterminer les différences et les harmonies, s’établir dans le centre lumineux de la conscience et de là rayonner en tous sens ;, donner une main à la physiologie, et de l’autre rejoindre la métaphysique et la religion, voir l’homme tout entier, aussi bien dans sa condition terrestre que dans ses hautes parties et dans ses perspectives immortelles, le mettre en un juste rapport avec cet univers où il passe, avec Dieu qui le guide et qui l’attend, tel est le cadre que nous proposerions volontiers à quelque esprit à la fois observateur et métaphysicien, qui s’acquerrait en le remplissant une gloire durable.


EMILE SAISSET.