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des temps célèbres ajoute à la valeur morale des objets matériels ne saurait se confondre avec cette admiration particulière que l’on porte aux choses douées d’une beauté qui leur soit propre. On s’y trompe quelquefois, et les hommes ont je ne sais quelle disposition à confondre le vieux avec le beau. Nous n’échappons pas sans effort au prestige de l’ancienneté qui, dans les lettres, les arts, les institutions, rehausse tout ce qu’elle épargne. Les monumens de Rome elle-même ont souvent profité de ces superstitions du goût qui divinisent la vétusté. L’enthousiasme s’est refroidi de nos jours, ou plutôt éclairé, à mesure que la sagacité archéologique s’est développée. La critique moderne, en s’approchant de plus en plus du vrai, a restitué aux choses leur mesure de valeur avec leurs caractères, et si nous comprenons mieux, nous admirons moins ; ainsi l’on a plus sainement jugé sous le rapport de l’art les antiquités romaines, et l’on a reconnu pour assez petit le nombre de celles qui peuvent être proposées comme des modèles à tous les temps. Et d’abord l’art romain tout entier est, ce me semble, descendu d’un degré du rang où l’élevait une vieille habitude de mettre ensemble sans distinction le grec et le latin. L’étude des architectures de l’Orient, un sentiment plus juste du mérite de celles du moyen âge, ont permis d’aborder avec moins de prévention, avec plus d’indépendance, l’examen de ces produits de plusieurs imitations combinées qui ont couvert le sol de l’Italie latine, et à ce revirement de la critique Vitruve a perdu une bonne part de sa réputation. Des histoires de l’art le traitent de détestable architecte ; ce qui est certain, c’est que son formalisme arbitraire n’est plus regardé comme le code inviolable du beau.

Un autre changement s’est opéré : c’est celui qui touche à la manière d’établir la chronologie monumentale de Rome. Lorsqu’on avait commencé à l’étudier, l’esprit plein des souvenirs classiques et nourri des récits de Tite-Live, on s’attendait, on s’obstinait à trouver partout les traces de l’histoire que l’on croyait savoir le mieux, et sans trop songer que l’antiquité romaine avait duré bien longtemps et qu’il était naturel que les dernières œuvres eussent supplanté les premières, on voulait reconnaître celles-ci partout et l’on aimait à reculer d’autant de siècles qu’il plaisait à l’imagination l’origine de toutes les ruines qu’on pouvait découvrir. C’est ainsi qu’on a commencé par signaler à Rome le tombeau de Romulus ou la fontaine d’Égérie. Aujourd’hui on ne sait plus seulement s’il y eut une Égérie et un Romulus ; on n’ose plus reporter à la légère aux beaux siècles de la république une ruine douteuse, et souvent des premiers temps de l’empire on est obligé de descendre bien bas pour assigner la date de ce qu’on aurait voulu faire au moins contemporain de