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ingrate ; on ne plaça dans le tombeau de famille que sa statue. Puis c’est l’art de la république près de trois siècles avant Auguste, un art énergique et sévère qui s’accorde merveilleusement avec les souvenirs qu’il atteste, mais un art déjà grec, encore grec peut-être, car on ne peut dire s’il vient de ces Étrusques, éclairés par quelques rayons du soleil hellénique, ou si les Romains l’avaient emprunté à la Grèce, en lui demandant, cent ans auparavant, les lois de Solon. Enfin c’est bien là, on n’en saurait douter, la tombe du vainqueur des Samnites, la sépulture d’une famille de héros. Et ces reliques de la gloire ont attendu plus de deux mille ans pour apparaître en plein jour !

C’était une noble et touchante idée aux Scipions que de vouloir associer leur nom à celui du poète qui avait chanté le vainqueur de Carthage. Ils croyaient réunir ainsi deux immortalités, et Horace comptait sur celle du poète pour faire durer la gloire du héros. Pour lui, les Muses de Calabre les vers d’Ennius, devaient plus illustrer celui à qui l’Afrique domptée avait donné son nom que les inscriptions taillées dans le marbre, qu’Annibal menaçant forcé à reculer d’une fuite rapide, que l’incendie de Carthage impie[1] ; mais le poème de la guerre punique n’est plus, et le tombeau des Scipions a conservé le buste d’Ennius. Le tombeau du héros a plus duré que les vers du poète. Il est vrai qu’Horace lui-même promettait à ses propres chants d’être redits seulement tant que le pontife monterait les degrés du Capitole avec la vestale silencieuse :

……… Dum Capitolium
Scandet cum tacita virgine pontifex,
Dicar[2]

et sur les degrés écroulés du Capitole la vestale et le pontife ont des longtemps disparu, tandis que le monument intellectuel du poète a défié « les pluies rongeantes et les vents impétueux, la succession innombrable des années et la fuite des temps. »


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Ad Censorinum, IV, 8.
  2. Ibid., IV, 24.