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secours du Bohémien. L’égoïste Frédéric, n’ayant plus besoin de son généreux voisin, se croit dégagé envers lui. Quant à Mathias Corvin, il vient de perdre sa femme, la fille de Podiebrad. Lui aussi, le voilà dégagé des liens qui l’attachaient au roi de Bohême ; il peut enfin lever le masque et suivre sans scrupule sa farouche ambition. Au moment où les conseillers du roi George s’adressaient au généreux Vitèz, archevêque de Gran et primat de Hongrie, pour obtenir sa médiation auprès de Paul II, Mathias Corvin écrivait au pape qu’il était prêt à ouvrir la croisade contre l’hérétique.

Ainsi chaque jour amène un danger nouveau. La ligue des seigneurs étend ses ramifications au dedans et au dehors. Vainement le roi redouble d’activité pour empêcher la guerre, vainement le légiste Martin Meyr, prêté à la Bohême par son maître le duc de Bavière, écrit au nom de George Podiebrad un exposé des faits qui doit toucher l’âme du pontife ; les démarches les plus humbles, les tentatives les plus conciliantes du vaillant monarque ne servent qu’à fournir à Paul II des occasions de violences. On ne croirait pas que ces brutalités fussent possibles, si elles n’étaient attestées par des écrivains de tous les partis. L’envoyé bohémien Jaroslaw, chargé de porter à Rome la lettre du roi de Bohême, se trouve sur le passage du pape au moment où il vient d’officier, et lui présentant sa missive : « Très saint père, lui dit-il humblement, voici ce qu’adresse à votre sainteté votre fidèle et loyal fils le roi de Bohême, mon gracieux seigneur. » Paul II prend la lettre, la jette à terre avec fureur et s’écrie : « Comment, brute que tu es, oses-tu en ma présence appeler du nom de roi un hérétique condamné par l’église ? Va-t’en au gibet qui t’attend, toi et ton hérétique ! » La lettre fut ramassée pourtant et remise au cardinal Carvajal. Jaroslaw attendait la réponse depuis plusieurs semaines. Comme il assistait à la messe de Noël à Sainte-Marie-Majeure, l’empereur, qui se trouvait alors à Rome, le reconnut dans la foule, et lui envoya un héraut d’armes pour le châtier publiquement. L’officier impérial, armé du bâton d’argent, l’en frappa deux fois sur la nuque et l’obligea de sortir de l’église. Un chroniqueur silésien, témoin du fait et qui le raconte, dit que son cœur bondissait de joie en voyant la honte du Bohémien. Il est inutile d’ajouter que ce fut la dernière missive de Podiebrad à Paul II. En ce même mois de décembre 1465, le pape avait renouvelé avec plus de développemens et de force sa bulle du 6 août : « Au nom du Dieu tout-puissant et de ses apôtres Pierre et Paul, toute la noblesse, barons et gentilshommes, toutes les communes, villes, châteaux, villages, en un mot tous les habitans du royaume de Bohême ainsi que des margraviats de Moravie et de Silésie, sont déliés et affranchis de tous sermens et hommages prêtés au nommé George, jusqu’au jour où un roi chrétien sera