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au concile de Bâle, et le brillant Sylvius, le futur pape, dans son ardeur d’opposition contre les abus de la cour romaine, n’avait pas alors de plus fidèle compagnon d’armes. Æneas Sylvius, séduit par les dignités de l’église, entraîné aussi sans doute par la raison politique et par le génie de la race italienne, abandonne les principes du concile pour revenir à la théocratie. Grégoire de Heimbourg reste fidèle aux généreuses inspirations de sa jeunesse. Quand le concile est dissous, Grégoire le représente encore en Allemagne. Les propositions hardies qui furent pour l’église germanique ce qu’avait été pour l’église gallicane la pragmatique sanction du concile de Bourges, c’est Grégoire de Heimbourg qui les fait voter à Mayence le 26 mars 1438. La pragmatique de Bourges, les propositions de Mayence, les compactats d’Iglau, naissent du même mouvement général à quelques mois de distance. Depuis ce jour, chaque fois que la politique romaine essaie de reprendre à l’Allemagne ses libertés religieuses, l’invincible lutteur est sur la brèche pour la défense du droit nouveau. Nous n’avons plus l’idée de ces grandes existences dévouées à un principe, de ces combats de doctrines et de paroles où le soldat d’une croyance ne craint pas de rester seul contre tout un monde. Il y a des heures où la cause de Grégoire semble vaincue ; Grégoire est toujours debout. À Rome, à Vienne, à Nuremberg, à Francfort, partout où s’engage la guerre de la théocratie contre les églises nationales, on voit arriver l’intrépide orateur. C’est le tribun de la religion émancipée, le prophète du christianisme viril. Diplomate maladroit, il perd toutes les causes où il faut procéder avec art ; apôtre aux lèvres de feu, il gagne toutes les batailles où peut se déployer librement l’enthousiasme de sa foi. Il enseigne aux souverains d’Allemagne leurs droits et leurs devoirs, leurs droits vis-à-vis du saint-siège, leurs devoirs envers l’église de la patrie. Un jour il réprimande l’empereur Frédéric III, et avec quelle souveraine éloquence ! Si l’archevêque de Mayence est persécuté pour son attachement aux principes du concile, il accourt auprès de lui afin de l’aider à soutenir l’orage. Si le duc Sigismond d’Autriche est excommunié pour avoir empêché le cardinal Nicolas de Cuse de troubler ses états, Grégoire de Heimbourg rédige un appel au futur concile, le signe de son nom et va l’afficher lui-même aux portes des églises de Florence[1]. Par ses écrits comme par ses discours, il entretient d’un bout de l’Allemagne à l’autre l’horreur de la théocratie, comme s’il prévoyait le mal que la théocratie va faire au christianisme éternel. Grégoire de Heimbourg en 1466, c’est véritablement le génie de l’Allemagne avant les déchiremens

  1. On peut consulter sur la vie et les œuvres de Grégoire de Heimbourg la savante et complète étude publiée récemment par M. Clément Brockhaus : Gregor von Heimburg. Ein Beitrag zur deutschen Geschichte des XV, Jahrhunderts, 1 vol. Leipzig 1861.