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Christ. Ces doux esséniens du monde moderne, qui n’ont succombé ni aux luttes de la réforme, ni aux violences de la guerre de trente ans, ni à la léthargie morale de la période suivante, et qui, ranimés au XVIIIe siècle par le comte Zinzendorf, se retrouvent encore aujourd’hui dans maintes contrées de l’Europe, ont pris naissance au XVe siècle, l’année même où le roi George, frappé d’anathème par le pape, déjouait si énergiquement les efforts de la rébellion. On comprend que le roi n’ait pu juger en toute liberté d’esprit cette singulière entreprise. Était-ce l’ancien esprit qui se levait ? Était-ce le fanatisme qui allait répondre aux outrages de Rome, comme il avait répondu, soixante-trois ans plus tôt, aux fureurs des théologiens de Constance ? Une telle apparition en pleine guerre civile devait effrayer une âme aussi profondément humaine que celle du roi George. Notez bien que ces frères de l’unité, devenus plus tard si humbles, si détachés du monde, déployaient alors une liberté de paroles et de doctrines que n’ont jamais connue les disciples du comte Zinzendorf. Avant de se détacher du monde, ils ne se faisaient pas faute de le maudire ; en cherchant les voies de l’humilité évangélique, ils parlaient souvent comme d’orgueilleux sectaires. Le roi n’hésita pas à les ranger parmi ces fauteurs d’hérésies que son serment l’obligeait à extirper de la Bohême. À peine organisés en communauté religieuse, les frères avaient écrit au roi : « Nous désirons que votre majesté le sache : le jour où seront rassemblés les représentant de toute l’église chrétienne, nous produirons des textes certains, irréfutables, dictés par Dieu lui-même, où l’on verra qu’il est juste de refuser obéissance à l’église romaine, que l’autorité des papes n’est pas fondée sur l’esprit divin, que leurs bénédictions ou leurs anathèmes sont sans force, n’étant soutenus ni par la parole du Christ ni par la puissance des apôtres, que leur empire au contraire est un monstrueux scandale devant Dieu, qu’ils ne possèdent pas la lumière à l’aide de laquelle on distingue le bien du mal qu’ils ne peuvent ni lier ni délier… » C’était le commencement de la réforme ; mais le roi de Bohême, en lutte avec le pape Paul II, ne voulait pas rompre avec le catholicisme. Il appelait de ce nom l’église des premiers temps, l’église du haut moyen âge, celle qui présentait l’image d’une grande fédération et non pas d’une monarchie absolue. Les frères auraient pu gagner sa faveur en ne frappant que Paul II ; ils avaient offensé ses croyances en dirigeant leurs coups sur le saint-siège lui-même. Attaquer le saint-siège de Rome et lui refuser toute vertu divine, c’était, aux yeux du roi George, attaquer la présidence consacrée de la fédération chrétienne universelle. Il espérait toujours obtenir des concessions de Rome, ou du moins limiter ses usurpations, comme ces barons d’Angleterre qui avaient arraché une charte à leurs souverains sans ébranler leur trône. La secte des frères de l’unité lui