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Atteint des infirmités les plus graves, accablé par tant de travaux et de fatigues, le roi George rendit son âme à Dieu le vendredi 22 mars 1471. Son corps resta exposé le samedi et le dimanche dans la grande salle du palais, transformée en chapelle ardente ; tous les habitans de Prague purent contempler une dernière fois sur son lit de mort le grand justicier, l’inflexible défenseur du droit national. Il fut enseveli le 25 mars dans les caveaux de Saint-Vite, où dorment les Prémysl et les Ottocar, les saints et les héros. Ce ne furent pas seulement les calixtins qui l’accompagnèrent en pleurant jusqu’à la tombe : catholiques et hussites, confondant leurs sanglots, rendaient le même hommage au père du peuple. Son grand compagnon d’armes dans les combats de la foi, maître Ptokycana, était mort quelques semaines auparavant ; son autre ami, son intrépide lieutenant dans les luttes politiques et religieuses, le docteur Grégoire de Heimbourg, expira l’année suivante. Ainsi disparaissaient à la fois les principaux acteurs de ce douloureux drame. Tous les trois furent grands par le dévouement de leur vie entière à ce qu’ils croyaient la vérité ; le plus grand, parce qu’il fut le plus simple d’esprit, le plus large de cœur, le plus dégagé de toute passion étroite, le plus dévoué au droit commun et au christianisme universel, le plus grand, ce n’est ni le prêtre ni le docteur, c’est le roi, le roi puissant et bon, le roi qui a maintenu sa puissance tutélaire au milieu de son royaume déchiré, le roi qui est resté bon, humain, chrétien sous le coup des malédictions du saint-siège.


VI

Le roi George, tel qu’il se relève aujourd’hui devant nous à la lumière de l’impartiale histoire, est une des plus nobles figures de son siècle et de tous les siècles. Ce qu’il a fait en Bohême est admirable : tout jeune encore, membre obscur de la petite noblesse, il veut sauver son pays d’une anarchie meurtrière, et, après un hardi noviciat sur les champs de bataille de la révolution hussite, il rallie à vingt-quatre ans tous les hommes chez qui bat encore le cœur de la patrie. De 1444 à 1448, il affermit ce parti, ou, comme on disait, cette fédération d’où sortira un jour la Bohême ressuscitée. En 1448, devenu maître de Prague, il établit un gouvernement né de la force des choses, et que soutient tout un peuple. Il règne, il administre, il unit les citoyens, divisés, il fonde l’ordre public, il relève les travaux de la paix, il est le sauveur et le père d’une nation. Dégagé de toute ambition mesquine et ne songeant qu’au succès durable de son œuvre, il. va chercher en Autriche le fils des anciens rois, en lui imposant le respect des libertés religieuses et des franchises politiques du royaume. Tuteur du prince comme il a été le tuteur du