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et intact, que de banalités ne ramassait-il pas, que de redites, que de fragmens et de mutilations ! Et, le mauvais comme le bon, tout allait au mont-de-piété. Il en était de même de ses acquisitions ; que de fois pour s’assurer d’une œuvre qui l’avait alléché n’était-il pas forcé de l’acheter en bloc avec vingt autres dont il ne voulait pas ! Or rarement il triait et élaguait, si ce n’était par voie de troc et d’échange, car il avait la maladie de l’antiquaire italien, il était plus ou moins brocanteur en antiquités. De là son goût pour les restaurations. Il fallait bien tirer parti des fragmens, des débris dont ses magasins étaient pleins. Aussi avait-il à ses gages toute une armée d’habiles rhabilleurs, jeunes gens de talent, qui ne travaillaient que pour lui.

Faut-il donc, s’étonner qu’on n’ait trouvé au jour de son désastre ni catalogues raisonnés, ni inventaires bien dressés, ni rien de ce qui constitue une collection formée avec maturité, méthode et sobriété. On pourra dire de cette galerie tout le bien qu’on voudra, on la pourra vanter, admirer sans mesure : s’il ne s’agit que de la valeur individuelle d’un grand nombre d’objets qu’elle renferme, ou même d’un certain ensemble, d’une certaine abondance dans quelques catégories d’objets, nous adhérons à cette admiration, et tout à l’heure la preuve en sera donnée ; mais prétendre y avoir découvert, comme on l’a pompeusement déclaré, une grande unité, « un but entièrement neuf, et qui n’a d’analogue nulle part, les élémens complets d’une nouvelle histoire de l’art dans toutes ses transformations, » c’est pure chimère, à notre avis, et, qui plus est, grande imprudence.

D’où vient en effet la défaveur presque subite, ou du moins l’extrême indifférence qu’a rencontrée chez nous l’exposition de cette galerie ? D’où vient que les vastes salles du Palais de l’Industrie sont devenues si promptement désertes ? qu’après le premier flot passé le nombre des visiteurs n’a plus égalé qu’à grand’peine celui des gardiens, et qu’on s’est trouvé plus à l’aise les jours publics que le jour réservé ? D’où vient surtout qu’à l’étranger, à Londres et à Berlin, les hommes du métier ont mis si peu de charité, nous dirions presque tant d’aigreur, à divulguer les côtés vulnérables de notre acquisition, l’importance de certaines lacunes, l’extrême élévation du prix ? La faute en est sans doute à nous-mêmes, à ce public parisien qui n’aime guère les arts, puis à l’esprit de jalousie dont les meilleurs voisins ne sauraient être exempts ; mais avant tout il faut s’en prendre au zèle des preneurs officiels, au ton provocateur de leurs panégyriques. Si dès l’abord ils avaient dit tout franchement, comme on en convient aujourd’hui, que l’état venait de faire une excellente emplette pour compléter nos collections, et si, après un choix