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sévère et un triage rigoureux, deux ou trois salles du nouveau Louvre s’étaient un jour trouvées garnies d’objets d’une exquise finesse, d’une évidente rareté et d’une valeur incontestable, la critique aurait mis bas les armes ; on n’aurait soufflé mot ni à Londres ni à Berlin, et notre public lui-même aurait pris goût à cette acquisition ; mais on a voulu faire un grand coup de théâtre, inaugurer un grand musée, le plus grand qu’on eût encore vu, le décorer du nom du souverain, et démontrer par chiffres aux contribuables qu’ils en avaient pour leur argent ; de là cette profusion, ces interminables suites d’objets toujours les mêmes, et cette multitude de pièces équivoques qui jettent sur les morceaux de choix un reflet triste et incertain.

Cette façon de procéder, il faut être juste, a cependant eu un heureux résultat : elle a mis en lumière chez trois hommes d’un talent modeste une aptitude toute spéciale, qui, sans cette occasion peut-être, serait restée inaperçue. Si les conservateurs des galeries du Louvre avaient été dès le principe, comme on devait s’y attendre, chargés d’acquérir, de transporter en France, de classer et de mettre en ordre cette annexe de leurs collections, nous n’aurions à donner aujourd’hui ni éloges ni remercîmens soit à M. Sébastien Cornu, soit à ses deux adjoints, MM. Clément et Saglio. C’est le projet de musée séparé qui les avait créés conservateurs : ils le seront désormais, non plus de fait, presque de droit. M. Clément est trop connu des lecteurs de cette Revue pour qu’il soit besoin de leur dire qu’il avait tous les titres à ce genre de mission. Tout en surveillant l’emballage, le déballage, le classement de ces milliers d’objets, il a trouvé moyen de dresser avec clarté, méthode et diligence un très bon catalogue des bijoux de la collection. Pas plus que ses deux collègues, il n’avait encore mis la main à l’arrangement d’un musée ; mais ils ont tous les trois débuté par un coup de maître, avec un zèle de néophytes et une habileté qu’on aurait prise pour de l’expérience. Tout ce que l’exactitude, l’esprit d’ordre, le goût, la bonne entente pouvaient tenter pour sauver le vice radical de cette exposition, ils l’ont bravement mis en œuvre. Ce n’est certes pas leur faute si le succès n’a pas été plus grand, si ce malheureux système de tout produire et de tout étaler sans choix et sans mesure a rebuté le public qu’on pensait éblouir. Maintenant que le mal est fait et qu’on entre un peu tard dans une voie nouvelle, nous ne craignons qu’une chose, c’est qu’on s’y lance trop avant. Telle est l’histoire des réactions. Nous ne voudrions pas qu’au Louvre on prît trop vivement le contre-pied du Palais de l’Industrie, que de peur de trop réunir on crût devoir trop disperser. Conserver, sans en rien distraire, dans sa soi-disant unité, comme une sorte d’arche sainte, la collection