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eu un duel (duel au couteau, bien entendu) avec un camarade, ou s’être bénévolement chargé d’un crime commis par un camorriste et en supporter toutes les conséquences jusqu’au bagne inclusivement. Des épreuves nouvelles et de nouveaux sermens sont exigés pour s’élever jusqu’au rang de camorriste de premier ordre. Chaque groupe exploitant un quartier a non-seulement un chef, mais une sorte d’agent comptable (cantarulo), qui chaque dimanche distribue aux camorristi purs le produit (barattolo) des taxes perçues pendant la semaine ; les camorristes seuls ont droit à une part égale et régulière ; la paie des picciotti est laissée à la bonne volonté des membres de l’association. Le cantarulo, en dehors de ses fonctions de comptable, règle les différends qui peuvent survenir entre les associés, assiste en juge du camp à leurs duels, où les coups ne doivent jamais être portés que dans la poitrine, et indique les opérations de contrebande qu’il croit devoir être fructueuses, car, avant l’application du nouveau tarif des douanes, la camorra se chargeait volontiers de faire entrer frauduleusement les marchandises prohibées. Je dois dire qu’il n’y a pas d’exemple qu’un ballot ait été détourné par ces singuliers colporteurs. Les punitions sont sévères ; la plus. douce est la bastonnade, puis vient la suspension, qui peut durer plusieurs mois, pendant lesquels le camorriste interdit continue à remplir ses devoirs, mais n’a plus aucun droit au partage ; enfin, comme dans les sociétés régulières, la peine la plus grave est la mort : le condamné est exécuté au couteau par ses associés. Si un coupable cherche à s’enfuir et gagne le large, son signalement est immédiatement expédié à toutes les loges de province, qui sont par délégation chargées d’exécuter la sentence. Lorsqu’un camorriste maladroit s’est laissé happer par la police pour quelques méfaits particuliers, il perd tout droit à sa part du barattolo, mais alors il ne doit rien à l’association ; il garde pour lui seul le tribut qu’il lève sur les prisonniers et l’impôt que ses contribuables ordinaires ne manquent jamais de lui apporter régulièrement, quoiqu’il soit sous les verrous.

Les camorristes font profession de n’avoir aucune opinion politique (c’est peut-être là qu’il faut chercher le secret de leur existence toujours tolérée), et, quelles que soient les révolutions qui agitent le peuple autour d’eux, ils n’en vivent pas moins à ses dépens. Ils connaissent le proverbe grec : « Que le vent souffle du nord ou du midi, il y a toujours des moutons à tondre. » Lorsque Garibaldi fut entré à Naples, il voulut disloquer la camorra d’un seul coup et utiliser en même temps l’énergie des camorristes et l’ascendant qu’ils exercent autour d’eux. Il les envoya dans les chiourmes, dans les prisons, pour servir de gardiens ; mais une fonction régulière ne pouvait leur convenir : ils s’ennuyèrent vite de ce repos, qui du