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tombé, on commettrait une grave erreur. Le clergé peut aujourd’hui, dans les provinces napolitaines, se diviser en deux catégories très distinctes, les rétrogrades et les libéraux. Les premiers sont plus royalistes que le roi : ils se tournent sans cesse vers Rome, d’où ils attendent et reçoivent le mot d’ordre ; ils ferment leurs églises le jour où l’on célèbre la fête nationale de l’Italie, la fête du statut ; ils entravent par tous les moyens imaginables la marche régulière du gouvernement ; ils passent pour avoir eu de fréquentes et coupables accointances avec le brigandage et semblent désirer une conflagration qui ramènerait sur le trône des Deux-Siciles le roi légitime par la grâce de Dieu, et par conséquent livré à leur influence. Les seconds au contraire, faisant presque tous partie du bas clergé, en haine de leurs supérieurs, las de leur servitude, se sont jetés dans le parti extrême et invoquent un libérateur. Ils rêvent un retour vers l’église primitive ; ils voudraient une réforme dans la discipline, dans la morale même ; ils n’osent encore toucher au dogme ; ils tournent de loin autour du protestantisme, qui les attire et leur fait peur en même temps ; ils savent bien ce qu’ils ne veulent pas et ne sauraient dire ce qu’ils veulent ; ils passent par où Luther a passé avant la journée de Worms. Ils se sentent involontairement emportés par un souffle de liberté, et voudraient en profiter pour eux-mêmes et surtout pour échapper au Vatican. Ils ont formé entre eux plusieurs associations : celle qui est dirigée par le prêtre Zaccaro est importante et compte plus de quatre mille adhérens ; mais, je le répète, il est très difficile de dégager des à présent l’inconnu du but qu’ils poursuivent, car ils l’ignorent eux-mêmes ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils ne veulent plus être ce qu’ils ont été ; ce n’est pas encore un schisme, c’en est peut-être le commencement. Tous ces prêtres inquiets et troublés, ne définissant pas même leur propre volonté entre les traditions du passé et leurs aspirations nouvelles, correspondent entre eux, se recherchent pour s’éclairer, travaillent pour apprendre, et n’arrivent le plus souvent qu’à rendre plus poignans les doutes qui les tourmentent. L’esprit de Campanella, leur compatriote, semble les agiter. J’en sais plusieurs qui se sont réunis pour lire en commun les œuvres de Fourier, de Saint-Simon, d’Enfantin et de Proudhon. C’est là un grave symptôme, et qui prouve du moins une foi ébranlée et un profond malaise dans les esprits. Ils jouissent actuellement d’une liberté disciplinaire assez grande, car quarante-cinq évêques sont, à l’heure qu’il est, hors de leurs diocèses. Existe-t-il quelque part une sorte de comité directeur, pris dans le clergé même, et qui pousse à l’approfondissement de certaines questions afin de préparer lentement le schisme qui doit séparer l’Italie de la papauté ? Je le croirais volontiers. En réponse à la lettre que les évêques ont récemment adressée au pape après les