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frets plus élevés que ceux des Hollandais, des Suédois, des villes anséatiques, tous peuples naviguant à bien meilleur marché. Les défenseurs de la législation s’accordaient à dire que, si l’acte de navigation avait imposé au pays des sacrifices par l’augmentation de prix des matières premières et des substances alimentaires, renchéries par l’absence de toute concurrence dans les transports, ces sacrifices avaient été largement compensés par cette race de hardis marins née sous l’influence de cette politique commerciale, race qui avait fait triompher l’Angleterre à Trafalgar, et sans laquelle Waterloo n’aurait pas été possible. Croire constituer une puissance navale sans marine marchande est aussi insensé que de vouloir récolter sans avoir confié des grains à la terre[1].

Une autre opinion se produisait, c’était celle des économistes, des libre-échangistes, des négocians et des manufacturiers. Eux aussi étaient pleins de reconnaissance et d’admiration pour les institutions maritimes de Cromwell ; mais elles avaient atteint leur but, et, selon eux, le moment était venu de jouir amplement des conquêtes qu’on leur devait, en supprimant les restrictions dont elles avaient embarrassé l’essor de la production anglaise. L’Angleterre, disaient-ils, doit beaucoup sans doute de sa grandeur à la suprématie de ses flottes ; mais ne doit-elle rien à son commerce, qui s’est fait le pourvoyeur du monde entier, et à son industrie, qui a multiplié le nombre et varié la nature de ses produits de manière à satisfaire les besoins de tous les peuples ? Ce serait un anachronisme inexplicable pour le bon sens pratique anglais que de maintenir en faveur de la marine un système de protection vieux de plus de deux siècles, lorsque l’ordre de choses qui le rendait rationnel est complètement changé, lorsque l’on a consenti, par le rappel des lois sur les céréales, à subordonner l’alimentation de la nation aux ressources fournies par l’étranger, lorsque par la réforme la plus radicale on a livré l’industrie anglaise à la concurrence de tous les peuples. Par logique et par justice, une fois entré dans cette voie, le gouvernement anglais doit donner au travail national les meilleures conditions de production, et lui assurer par la rivalité des marines l’importation des matières premières et l’exportation des objets fabriqués au meilleur marché possible. D’ailleurs, ajoutaient ceux qui s’exprimaient ainsi, nous avons foi dans le principe de liberté, nous croyons qu’un mouvement commercial auquel concourront toutes les marines du monde, loin de nuire à notre navigation, la stimulera et lui fournira des élémens d’activité qui en peu d’années doubleront sa force.

  1. Voyez l’enquête anglaise de 1847, cinquième volume, p. 96.