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Lorsque mon maître me commande un pâté, il me dit de le faire de forme ronde ou carrée. Je me mets à l’œuvre, je fais le pâté absolument comme le désire mon maître, puis je le lui sers. Que fait-il ? Il le coupe, détruit immédiatement la forme, et va sous l’enveloppe chercher la nourriture que j’y ai enfermée. Il en est de même du culte extérieur ; il n’est que l’enveloppe des préceptes, il est la matière qui cache l’esprit. Si les préceptes sont assez forts pour nous suffire, qu’avons-nous besoin du culte, de ses cérémonies et de son éclat. Une bonne action vaut mieux qu’une procession, une aumône est supérieure à la messe. » Avec de tels hommes, et ils sont bien plus nombreux à Naples qu’on ne pourrait le croire, le protestantisme ira vite. De leur côté, les provinces réclament des missionnaires protestans, les Calabres surtout montrent une ardeur singulière. Deux prêtres convertis à l’Évangile, MM. Vicenzo Calfa et Gianbattista Gioja, sont partis pour Florence, afin d’étudier pendant un an à la faculté de théologie que viennent d’y fonder les vaudois. Bien d’autres prêtres calabrais, prêtres à demi schismatiques et tirant vers l’église grecque, persécutés assez vivement sous les Bourbons malgré les bulles pontificales qui leur accordaient certaines immunités analogues à celles que la cour de Rome concède à l’église catholique d’Orient, embrasseraient immédiatement le protestantisme, si leur pauvreté ne les retenait sur la pente de la conversion, car ils n’ont guère d’autres moyens d’existence que le bénéfice qu’ils retirent de la messe.

Ce mouvement protestant a consterné la partie exagérée (nous dirions ultramontaine) du clergé napolitain, qui a inutilement fatigué l’autorité de ses doléances. Les protestans ont offert alors aux prêtres catholiques des discussions publiques ou privées, à leur choix, où les questions de dogme seraient agitées. Nul ne répondit à cet appel. Eh ! qui aurait pu y répondre ? Le clergé napolitain a vécu dans une telle sécurité, il voyait l’autorité intervenir avec un si grand empressement dans tout ce qui touchait aux choses de la conscience, qu’il s’est endormi dans son repos, dans sa paresse, dans sa quiétude, c’est-à-dire dans une ignorance radicale, et que, loin de pouvoir lutter dans une discussion dogmatique, il ne sait plus aujourd’hui que ce qui est strictement indispensable à l’exercice de son ministère. Il ressemble à ce patriarche grec de Bethléem à qui je demandais pourquoi sur l’iconostase de son église on avait représenté saint Jean-Baptiste avec des ailes, et qui me répondit que c’était pour indiquer que plus tard, à Pathmos, il serait transporté par l’esprit de Dieu et aurait la grande vision de l’Apocalypse, Le clergé napolitain est à peu près de cette force, et au besoin saurait confondre aussi saint Jean-Baptiste et saint Jean l’évangéliste.

Si les cultes sont libres à Naples, la presse n’y est pas moins libre,