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yeux sur une estampe qui représentait un soldat tué, et à côté de lui sa femme, son enfant et son chien dans la neige, tout d’un coup, involontairement, il fondit en larmes. Les ouragans d’hiver dans les arbres, sous un ciel nuageux, « l’exaltaient, le transportaient hors de lui-même. » Une autre fois, dans une promenade, au printemps, « j’écoutais, dit-il, les oiseaux, et je me détournais souvent de mon chemin pour ne pas troubler leurs petites chansons ou les faire envoler. Même la branche d’aubépine blanche qui avançait sur la route, quel cœur en un pareil moment eût pu songer à lui faire mal ? » C’est cet essaim de songes grandioses ou gracieux que la servitude du labeur machinal et de l’économie perpétuelle venait écraser lorsqu’ils commençaient à prendre leur vol. Joignez à cela un caractère fier, si fier, que plus tard, dans le monde, parmi les grands, « la crainte de tout ce qui pouvait approcher de la bassesse et de la servilité rendait ses façons presque tranchantes et rudes. » Ajoutez enfin la conscience de son mérite. « Pauvre inconnu que j’étais, j’avais une opinion presque aussi haute de moi-même et de mes ouvrages que je l’ai à présent que le public a décidé en leur faveur. » Rien d’étonnant si l’on trouve à chaque pas dans sa poésie les réclamations amères d’un plébéien opprimé et révolté.

Il en a contre la société tout entière, contre l’état et contre l’église. Il a l’accent âpre, souvent même les phrases de Rousseau, et voudrait « être un vigoureux sauvage, » sortir de la vie civilisée, de la dépendance et des humiliations qu’elle impose au misérable. « Il est dur de voir un monsieur que sa capacité aurait élevé tout juste à la dignité de tailleur à huit pence par jour, et dont le cœur ne vaut pas trois liards, recevoir les attentions et les égards qu’on refuse à l’homme de génie pauvre. » Il est dur de voir « un pauvre homme, usé de fatigue, tout abject, ravalé et bas, demander à un de ses frères de la terre la permission de travailler. » Il est dur « de voir ce seigneurial ver de terre repousser la pauvre supplique, sans songer qu’une femme qui pleure et des enfans sans pain se lamentent là tout à côté. » Quand le vent d’hiver souffle et barre la porte de ses rafales de neige, le paysan, collé contre son petit feu de tourbe, pense aux grands foyers largement chauffés des nobles et des riches, » et parfois il a bien de la peine à s’empêcher de devenir aigre en voyant comment les choses sont partagées, comment les plus braves gens sont dans le besoin, pendant que des imbéciles se démènent sur leurs tas de guinées sans pouvoir en venir à bout. « Mais surtout le cœur frémit et se gangrène de voir leur maudit orgueil. » — « Un homme est un homme après tout, » et le paysan vaut bien le seigneur. Il y a des gens nobles de nature et il n’y a que ceux-là de nobles ; l’habit est une affaire de tailleur,