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national, les idées libérales s’effaçaient ; les plus illustres des amis de Fox, Burke, Wihdham, Spenser, le quittèrent : de cent soixante partisans dans la chambre des communes, il ne lui en resta que cinquante. Le grand parti whig sembla disparaître, et dans l’année 1799 la plus forte minorité qu’on put rassembler contre le gouvernement fut de vingt-cinq voix. Cependant le jacobinisme anglais était pris à la gorge et tenu à terre[1] ; « l’habeas corpus était suspendu à plusieurs reprises ; les écrivains qui avançaient des doctrines contraires à la monarchie et à l’aristocratie étaient proscrits et punis sans merci. Il était dangereux à un républicain de faire sa profession de foi politique au restaurant, devant son beefsteak et sa bouteille, et l’on voyait en Écosse, pour des offenses qui à Westminster eussent été qualifiées de délits médiocres[2], des hommes d’esprit cultivé et de manières polies envoyés à Botany-Bay avec le troupeau des criminels[3]. » Cependant l’intolérance de la nation aggravait celle du gouvernement. Quiconque eût avoué des sentimens démocratiques eût été insulté. Les journaux présentaient ces novateurs comme des scélérats et des ennemis publics. La populace, à Birmingham, brûlait les maisons de Priestley et des unitaires. À la fin, Priestley fut obligé de quitter l’Angleterre. Lord Byron s’exila sous la même contrainte, et quand il partit, ses amis craignirent que la foule assemblée autour de sa voiture ne portât les mains sur lui.

Ce n’est point dans ce monde armé en guerre contre les nouvelles théories que les nouvelles théories pouvaient naître. La révolution y entre cependant ; elle y entre déguisée, et par une voie détournée, en sorte qu’on ne la reconnaît pas. Ce ne sont point les idées sociales qui se transforment, comme en France, ni les idées philosophiques, comme en Allemagne, mais les idées littéraires ; la grande marée montante de l’esprit moderne, qui renverse ailleurs tout l’édifice des conditions et des spéculations humaines, ne parvient d’abord ici qu’à changer le style et le goût. Médiocre changement, du moins en apparence, mais qui en somme vaut les autres, car ce renouvellement dans la manière d’écrire est un renouvellement dans la manière de penser, et celui-ci amènera tous les autres, comme le mouvement du pivot central entraîne le mouvement de tous les rouages engrenés.

En quoi consiste cette réforme du style ? Avant de la définir, j’aime mieux la montrer, et pour cela il faut que l’on voie le caractère et la vie de celui qui le premier, sans système, l’a pratiquée ici, William Cowper, car son talent n’est que l’image de son caractère,

  1. Life of William Pitt, by Macaulay.
  2. Misdemeanours.
  3. Félons. Ces termes légaux n’ont pas d’équivalent en français.