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sont intéressans ; encore pourriez-vous vous dispenser de nous les faire passer tous en revue. « Hier, j’ai lu le Parfait pêcheur de Walton ; sonnet. — Le dimanche de Pâques, j’étais dans une vallée du Westmoreland ; autre sonnet. — Avant-hier, par mes questions trop pressantes, j’ai poussé mon petit garçon à mentir ; poème. — Je vais me promener sur le continent, en Écosse ; poésies sur tous les incidens, monumens, documens du voyage. « Vous jugez donc vos émotions bien précieuses, que vous les mettez toutes sous verre ? Il n’y a que trois ou quatre événemens en chacun de nous qui valent la peine d’être contés ; nos puissantes sensations méritent d’être montrées, parce qu’elles résument tout notre être, mais non les petits effets des petits ébranlemens qui nous traversent et les oscillations imperceptibles de notre état quotidien. Autrement je finirai par expliquer en vers qu’hier mon chien s’est cassé la patte, et que ce matin ma femme a mis ses bas à l’envers. Le propre de l’artiste est de couler les grandes idées dans des moules aussi grands qu’elles ; ceux de Wordsworth sont en mauvaise glaise vulgaire, ébréchés, incapables de garder le noble métal qu’ils doivent contenir.

Mais le métal est véritablement noble, et outre plusieurs sonnets très beaux il y a telle de ses œuvres, entre autres la plus vaste, Une Excursion, où l’on publie la pauvreté de la mise en scène pour admirer la chasteté et l’élévation de la pensée. À la vérité, l’auteur ne s’est guère mis en frais d’imagination : il se promène et cause avec un pieux colporteur écossais, voilà toute l’histoire. Toujours les poètes de cette école se promènent, regardant la nature et pensant à la destinée humaine, c’est leur attitude permanente. Il cause donc avec le colporteur, personnage méditatif, qui s’est instruit par une longue expérience des hommes et des choses, qui parle fort bien (trop bien !) de l’âme et de Dieu, et lui conte l’histoire d’une bonne femme morte de chagrin dans sa chaumière, puis avec un solitaire, sorte d’Hamlet sceptique, morose, attristé par la mort des siens et les déceptions de ses longs voyages, puis avec le pasteur, qui les mène au cimetière du village et leur décrit la vie de plusieurs morts intéressans. Notez qu’à mesure les réflexions et les discussions morales, les paysages et les descriptions morales, s’étalent par centaines, que les dissertations entrelacent leurs, longues haies d’épines, et que les chardons métaphysiques pullulent dans tous les coins. Bref, le poème est grave et terne comme un sermon. Eh bien ! malgré cet air ecclésiastique et les tirades contre Voltaire et son siècle[1], on se sent le cœur pris comme par un discours de Théodore

  1. « This dull product of a scoffer’s pen,
    Impure conceits discharging from a heart
    Harden’d by impious pride ! »