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qui avait tenu tête aux Français dans Rome. Son étroit cabinet était devenu comme un grand bureau de recrutement. Un matin de très bonne heure, le valet de chambre de M. de Cavour y annonce quelqu’un qui demande à voir M. le comte. « Son nom ? — Il ne veut pas le dire. Il a un grand bâton et un grand chapeau. Il prétend que monsieur le comte l’attend. — Ah ! faites entrer. » C’était Garibaldi. Si Garibaldi fut le plus considérable, il ne fut pas le seul des enrôlés que M. de Cavour alla chercher jusque dans les rangs des patriotes italiens les plus exaltés. Susciter partout, n’importe où, n’importe comment, des ennemis à l’Autriche, grossir le nombre des volontaires, les armer, les approvisionner, leur fournir tous les moyens de se bien battre et de se faire honneur, telle fut alors la préoccupation principale et la besogne favorite de M. de Cavour, besogne souvent épineuse même pour lui, car le ministre de la guerre, le rigide M. de La Marmora, y voyait un élément de désordre militaire, et l’administration civile comme la diplomatie étrangère un ferment de désordre politique. M. de Cavour tint bon et passa outre. On remarqua qu’il suivit pendant toute la guerre d’un œil particulièrement attentif, et comme avec une sorte d’amour-propre d’auteur, les opérations de ce petit corps des volontaires italien, jouissant visiblement de ses prouesses contre l’ennemi, faisant remarquer qu’il était partout en avant du grand corps des armées françaises et piémontaises, le premier de l’autre côté du Tessin, quand elles cherchaient à le passer, et déjà dans Brescia, quand elles n’étaient qu’à Milan ; le comparant volontiers dans son langage familier à ce petit poisson qui, selon quelques voyageurs, « précède et fraie partout le passage à la baleine. »

Répétons-le encore : il y avait là plus et mieux qu’une fantaisie personnelle ou qu’une satisfaction d’amour-propre. M. de Cavour savait parfaitement en toutes choses ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait. Il croyait, peut-être serait-il plus juste encore de dire qu’il espérait que la guerre serait longue ; il la voulait telle, parce qu’en durant elle avait chance de devenir plus nationale, c’est-à-dire de perdre la physionomie de simple expédition française pour prendre de plus en plus le caractère d’une guerre vraiment italienne. Engager à y prendre part des hommes dont mieux que personne il connaissait les antécédens qui n’étaient pas, à vrai dire, des partisans assurés de la dynastie sarde, ni peut-être d’aucune dynastie, cela l’effrayait médiocrement ; disons mieux, cela entrait dans ses vues, car il était de ceux qui pensent que, pour ramener les gens, le meilleur moyen n’est pas de commencer par les exclure. Avec un rare discernement, don précieux des vrais politiques, il avait reconnu que la cause monarchique avait depuis la catastrophe de 1849,