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surtout de l’esprit qui animait la France libérale aux dernières années de la restauration et pendant les premières années du gouvernement de juillet, mouvement un peu élargi, il est vrai, par une participation plus directe des classes inférieures aux affaires de la politique ; mais cela même, est-ce donc un mal ? Il s’apercevra que la question d’indépendance est ici mêlée et comme confondue avec la question de liberté. En présence de l’Autriche maîtresse de Milan et des trois formidables citadelles du nord détenant le plus grand port commercial et militaire de l’Adriatique, de l’Autriche disposant, par ses alliances de famille, des petits états du centre, il n’y avait pas de véritable indépendance pour l’Italie. Permis à la diplomatie de refuser aux Italiens le droit de revendiquer ce qu’ils considèrent comme leurs frontières naturelles. La diplomatie suit ses traditions quand elle s’efforce de maintenir telle qu’elle existe la répartition des territoires. À ce titre, elle n’eût pas été moins dans son rôle en protestant, il y a deux siècles, contre la conquête de la Lombardie par les Espagnols, et à une époque plus récente contre la cession par Napoléon de la Vénétie à l’Autriche. Mais puisqu’en matière de légitimité il ne s’agit que de dates à inscrire sur l’acte de possession, permis aussi aux peuples dont les besoins et les vœux ont été méconnus d’en vouloir à leur tour créer de nouvelles à leur profit. En 1859, M. de Cavour se trouvait en réalité le promoteur déclaré et le chef responsable, d’un immense mouvement national auquel il avait convié toutes les classes de la population italienne, où fermentaient pêle-mêle et en commun les fougueuses passions qui ont agité la France de 1830 et celle de 1848, mais surtout et d’abord la généreuse ardeur qui précipitait nos volontaires de 93 et 94 contre les armées étrangères.

Une fois lancé en si périlleuse aventure, et n’ayant pas un instant douté de la mener à bonne fin, on comprend avec quel pénible désappointement le ministre de Victor-Emmanuel apprit la nouvelle de l’armistice qui précéda de si peu de jours la conclusion de la paix de Villafranca. Il en fut comme atterré. « Déçu, blessé au vif, — nous dit M. de La Rive, chez qui le vaincu de Villafranca vint alors chercher une retraite de quelques jours, — chancelant sous le coup qui venait d’abattre l’échafaudage de sa politique, de renverser ses espérances à demi réalisées, ses plans inachevés et rompus, il ne déguisa à l’empereur ni sa douleur ni son ressentiment. » Cependant sa douleur elle-même ne troublait pas son jugement, et son irritation, qu’il n’avait garde de cacher, ne le rendait pas injuste. « L’empereur a cédé, disait-il à ses amis de Genève, aux propos que tenaient autour de lui quelques hommes qui avaient envie de retourner à Paris, aux craintes que lui inspirait, pour la santé de l’armée, l’ardeur