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pas leur en payer le prix. Le général en chef de l’armée méridionale fut donc autorisé à commencer en Italie une tournée officielle pour la fondation des tirs nationaux ; les autorités reçurent ordre de l’accueillir partout avec les plus grands honneurs et de lui prêter assistance pour accomplir la mission, assez vague d’ailleurs, dont il était chargé. Une somme considérable, dont l’emploi n’était pas beaucoup mieux indiqué, fut placée en même temps à sa disposition. Le général en chef ne se fut pas plutôt mis en route, en se rendant d’abord à Milan, Lodi, Brescia et dans les villes des duchés, que sa vue, ses discours produisirent partout comme une sorte de commotion électrique qui fit tressaillir les populations. « On reconnaît l’autorité officielle du gouvernement, me disait à ce sujet un Piémontais considérable des anciens temps, dans tous les états de l’ancienne maison de Savoie ; mais hors de là l’autorité morale, le prestige personnel appartiennent à Garibaldi. Le, voilà lâché : que va-t-il faire ? » Sarnico et Aspromonte ont répondu à cette question.

On ne connaîtra jamais bien et nous avouons ne pas savoir au juste ce qui a pu se passer par intermédiaires entre M. Rattazzi et Garibaldi pendant les temps qui ont précédé la petite expédition avortée sur le versant lombard des Alpes du Tyrol, et la grande aventure qui vient de se dénouer si déplorablement au fond des montagnes de la Calabre. Dans l’une ou dans l’autre occasion, le téméraire auteur de ces violens coups de main avait-il quelque motif fondé de se croire tacitement approuvé par le gouvernement, dont à coup sûr et de la meilleure foi du monde il entendait servir les intérêts ? Nous l’ignorons, et dans notre ignorance nous nous interdisons toute espèce de supposition. Ce qui est certain, c’est que de pareilles tentatives menaient tout droit aux abîmes. Une collision soit avec l’Autriche, soit avec la France, compromettait également la cause italienne. M. Rattazzi a eu raison de vouloir réprimer l’une et l’autre, même à force ouverte et par la voie des armes. Il l’a fait avec une rare décision, qui cependant a dû lui coûter. En face de la gravité de la situation faite à la péninsule par ce commencement de lutte intestine, lutte déplorable où les premiers coups portés ont jeté à terre, frappé par des balles fratricides, le héros le plus populaire de l’indépendance italienne, il serait oiseux de se demander si cette extrémité douloureuse n’a pas été en partie imposée au cabinet piémontais par les incertitudes mêmes de son origine. Il n’y a pas grand intérêt non plus à rechercher si, en se proposant tout à la fois de plaire au roi, de donner satisfaction à Garibaldi et de resserrer l’alliance française, M. Rattazzi, avec les vues les plus droites et les plus patriotiques intentions, n’a pas au contraire compromis à quelque degré la popularité de Victor-Emmanuel, rendu le plus désastreux service