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deux torts, et n’en eut que deux. Le premier fut de n’avoir pas élargi, afin d’occuper plus fortement la chambre et l’opinion, le programme épuisé, quoique au fond inépuisable, de la vraie politique conservatrice ; le second fut de prétendre à une durée fort utile en soi aux intérêts publics et justifiée par l’éclat des talens comme par celui des services, mais incompatible avec les calculs d’adversaires dont la majeure partie se dédommage si bien aujourd’hui du supplice d’une longue attente. Telles sont les vraies causes génératrices de la catastrophe de février, malgré les efforts que fait M. Garnier-Pagès pour rattacher la soudaine proclamation de la seconde république à de vastes et fécondes idées qui depuis plusieurs années auraient, selon lui, profondément remué la France sans que celle-ci le soupçonnât.

Durant la campagne extra-parlementaire ouverte en juillet 1847 au banquet du Château-Rouge et terminée, après sept mois, au trop fameux banquet du 12e arrondissement, l’agitation, si alarmante qu’elle fût dans la ville de Paris, ne dépassa guère les limites de sa banlieue. Malgré l’éclat que donnèrent à quelques banquets de province d’illustres et ardentes paroles, les discours après boire n’eurent pas sur l’opinion générale des départemens une influence beaucoup plus considérable que celle des premiers Paris apportés chaque jour par la malle-poste aux abonnés des feuilles de l’opposition. Il est naturel qu’un républicain de la veille comme M. Garnier-Pagès, qu’un républicain du jour comme M. de Lamartine, éprouvent le besoin de donner une sorte de filiation légitime à l’enfant de la force et du hasard ; mais, si oublieuse que soit la France de son passé, si soumise qu’on puisse la croire aux arrêts de la fortune, elle n’arrivera jamais, qu’on en soit bien sûr, à se persuader, avec les deux historiens de la révolution de 1848, qu’elle étouffait en 1847 dans les horizons ouverts devant elle, et qu’elle aspirait à marcher à travers la nuit et les orages aux lumineuses clartés d’une loi nouvelle.

Aux premiers jours de 1848, la France, malgré les révélations et les clameurs de la tribune, ne se sentait ni affaissée, ni ruinée, ni corrompue, quoiqu’on le lui répétât chaque matin et qu’on fût alors au temps où les pailles devenaient poutres, en attendant celui où les poutres deviendraient pailles. Elle avait l’instinct que ses richesses comme ses idées allaient prendre au dedans et au dehors un essor incalculable. Elle attendait donc avec une impatience fort peu fébrile l’adjonction à la liste électorale de la seconde liste du jury, et, quoique assez favorable à la réforme, elle lui préférait pourtant, il faut bien le confesser, un tronçon de chemin de fer. La Bretagne et le Dauphiné avaient commencé la révolution de 89 avant la capitale ; celle de 1830, encore que perpétrée par la population parisienne,