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dangereux alliés dont ils avaient formé la naïve avant-garde. S’agissait-il de donner l’assaut, au prix d’un sang précieux, aux nombreuses barricades qui enlaçaient la capitale dans un réseau inextricable ? Nullement, car le succès n’aurait pas justifié une pareille extrémité, repoussée par l’humanité comme par la politique. Mais que chacun se demande en descendant dans ses souvenirs ce qui serait advenu le 25 février, si la royauté, entourée de ministres nouveaux, appelant auprès d’elle les grands corps de l’état, s’était retirée à Saint-Cloud, dans une position militaire inexpugnable, au milieu d’une armée grossie et moralement fortifiée d’heure en heure par la manifestation non équivoque du sentiment national ? Paris eût-il opposé une résistance sérieuse à un gouvernement intelligent, également résolu et à toutes les concessions nécessaires et à toutes les mesures de répression qu’aurait pu commander la persévérance, d’ailleurs fort improbable, d’une rébellion sans avenir comme sans excuse ? Ce qui permit à la république de se constituer, ce qui lui concilia l’assentiment moral et le concours matériel des bons citoyens en présence de l’abîme entr’ouvert, ce fut l’abdication éclatante que le pouvoir royal parut faire de toute pensée d’avenir. La France ne l’abandonna que parce qu’il s’était solennellement abandonné, répudiant avec la mission de la sauver celle de se sauver lui-même. À qui fera-t-on croire qu’un gouvernement provisoire aurait pu tenir huit jours à l’Hôtel de Ville en présence de la monarchie constitutionnelle continuant à fonctionner aux portes de Paris au milieu des représentans de la nation et sous la protection de cent mille hommes commandés par Bugeaud et par Lamoricière ? Devenue au sein d’une pareille crise la dernière garantie de tous les intérêts alarmés, la monarchie, de 1830 n’en serait-elle pas sortie fortifiée ? N’y aurait-elle pas rencontré l’heureuse chance de revêtir un caractère plus national et moins exclusif ? L’épreuve valait la peine d’être tentée ; l’effet en aurait été de rendre à la capitale, au prix de quelques jours d’angoisses trop méritées, la leçon que sa bourgeoisie avait, avec tant d’à-propos, entendu infliger au gouvernement. Un pareil plan était, ce semble, si naturel à suivre que, pour comprendre que la pensée n’en soit pas venue à ceux auxquels il appartenait de l’accomplir, il faut se reporter à ces aveuglemens fatidiques qui n’entrent pas dans l’ordre des prévisions humaines. Circonscrire l’incendie dans son foyer, sortir de Paris pour s’épargner la douleur d’une répression sanglante et se ménager les chances d’une réaction certaine au sein de la population, regarder en face une épreuve qui n’avait rien changé ni dans les idées, ni dans les intérêts de la nation, une pareille conduite aurait donné mille raisons du moins autorisent à le croire, un autre cours aux événemens.