Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, quand après tout on n’est qu’un homme ? Je dirai plus : Comment ne tremblerait-on pas, si l’on voulait faire honneur de cette appréhension aux plus louables scrupules de la conscience ? Comment n’être pas importuné du fardeau d’une volonté solitaire, quand on sent qu’aux oscillations de cette volonté est suspendu le naufrage d’un peuple ou le renversement des traditions d’une religion ? L’équité commande de reconnaître qu’il est bien permis à l’empereur de décliner de telles responsabilités, et que le parti le plus sage pour lui serait de mettre le pays à même de les prendre activement et directement à son compte.

Des élections générales seraient donc particulièrement opportunes en ce moment ; elles seraient le meilleur, le plus sûr, le plus prompt acheminement à la solution de la question romaine. C’est bien à tort que l’on craindrait que le pays ne fût point assez édifié et pût être victime d’une surprise. La question qu’il s’agit de trancher sort des entrailles de la révolution française. Il y a dans les grandes questions issues de la révolution une force de logique et de nécessité que rien ne peut vaincre. Entre le drapeau de la révolution et celui de la contre-révolution, nous sommes certains que la France n’hésitera jamais, ne se trompera jamais dans son choix, si la liberté de choisir lui est laissée ; mais ce n’est pas seulement pour la question romaine que nous souhaiterions aujourd’hui des élections générales : c’est aussi pour le caractère tout nouveau, dans le système électoral qui nous régit depuis onze ans, que le débat de la question romaine donnerait au mouvement des prochaines élections.

À notre avis, les élections se faisant sur la question romaine, de gré ou de force la liberté s’y ferait admettre. Pour la première fois depuis onze ans, les élections s’accompliraient sur une question autour de laquelle le corps électoral serait nettement et naturellement divisé. Il y aurait deux partis, il y aurait deux camps : l’évacuation de Rome et la consommation de la révolution, l’occupation de Rome et la protestation suprême de l’ancien régime ; il n’y aurait à choisir qu’entre ces deux cris. Les candidatures comme les groupes d’électeurs s’échelonneraient sur l’un ou l’autre programme. Certes les délais donnés aux préparatifs d’une élection générale sont bien courts ; mais un mois, nous n’en doutons point, suffirait pour établir le classement politique des électeurs et des candidats dans l’un et l’autre cadre. La lutte électorale s’engagerait en dehors, à côté, au-dessus des influences administratives. Le gouvernement aurait évidemment à faire un moindre emploi qu’on ne l’a vu jusqu’à ce jour des candidatures recommandées. Son intérêt bien entendu lui conseillerait de demeurer neutre. Pour que la pensée impériale fût dégagée des responsabilités de la question romaine, il importerait en effet que le gouvernement s’abstînt de présenter lui-même des candidats aux électeurs ; s’il favorisait les candidats de l’une des deux opinions qui seraient en présence, il est évident qu’au lieu d’attendre la solution de l’inspiration du pays, il aurait lui-même pris