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les pavés de la barricade où il succombe de préférence à son lit de parade ? Si la question eût été posée à Florence et au XVe siècle, nul doute que les émules ou les disciples d’Antonio Rossellino, de Mino da Fiesole, et de tant d’autres maîtres curieux avant tout de l’élégance et de la sérénité linéaires, ne l’eussent résolue dans le premier sens. En France, avec les traditions et les instincts propres de tout temps à notre école, avec ce goût pour l’expression dramatique que le mouvement des idées actuelles a plutôt développé qu’amoindri, il était naturel que des deux données on n’hésitât guère à choisir la seconde. Nous nous rappelons toutefois, parmi les esquisses présentées au concours de 1848, celle qu’avait exposée M. Baltard, et dans laquelle, par une exception digne de remarque, l’artiste s’était franchement rallié à ces principes italiens que nous indiquions tout à l’heure. À ne considérer que les convenances architectoniques, l’harmonie de l’ensemble et l’accord qu’il importait d’établir entre les lignes du monument et celles de l’édifice où il devait être placé, peut-être ce projet, récompensé d’ailleurs d’un second prix, offrait-il quelque chose de moins prévu dans la forme, de moins épisodique dans les intentions qu’aucun autre. Le projet de M. Debay n’accusait pas des qualités du même ordre, il laissait quelque peu à désirer dans l’agencement des parties ornementales et au point de vue de l’invention pure ; en revanche, il avait cet avantage de traduire clairement le fait, d’en définir les conditions particulières par l’attitude, le geste, la vraisemblance historique du personnage représenté. À ce titre, il répondait mieux aux exigences de notre goût et aux sentimens qui avaient dicté la décision de l’assemblée nationale en 1848 : il méritait donc d’être préféré. Reste à savoir si l’exécution de l’œuvre a donné tout à fait raison aux suffrages des premiers juges et si, en complétant l’expression de sa pensée, le sculpteur a réussi à conquérir un nouveau et plus vaste succès.

Nous avons dit que dans le tombeau de l’archevêque de Paris, tel que l’avait conçu d’abord M. Debay et tel qu’on le voit aujourd’hui à Notre-Dame, la part faite à l’architecture était bien restreinte, sinon presque nulle. Un sarcophage en marbre décoré, pour tout ornement, d’un bas-relief et supportant la statue, une stèle s’élevant derrière celle-ci et le long de la muraille où elle s’appuie, — voilà en effet à quoi se réduisent les élémens de la composition monumentale. Peu de richesse ou de nouveauté dans les profils, peu ou point de diversité dans la couleur des matériaux employés. Je sais que, pour animer l’aspect de l’ensemble et pour en corriger la simplicité un peu aride, M. Debay s’est proposé, dès l’origine, de couvrir de peintures les murs qui avoisinent l’œuvre de son ciseau. Sous le rapport de impression morale comme pour la satisfaction des yeux, il y aurait tout avantage à compléter ainsi la signification du monument, et l’on doit désirer que les intentions de l’artiste sur ce point puissent bientôt se réaliser. En attendant, c’est à un morceau de sculpture, et de sculpture dans la plus stricte acception du mot, que nous avons affaire, car on dirait que M. Debay, qui était peintre avant de devenir sculpteur, a pris à tâche ici de ne rien laisser survivre de ses habitudes passées, et que sa main, accoutumée au luxe et au mouvement pittoresques, a craint, en taillant le marbre,