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pour pouvoir plus vite affirmer quelque chose, et ce qui la distingue maintenant, c’est le besoin de ne plus s’attaquer à des fantômes. Aussi ne songe-t-elle pas à se parer, même dans les récits où elle se met en scène, et il est une qualité qu’on ne saurait lui refuser ! défaut de toute autre, la sincérité, dût-il lui en coûter parfois des aveux déplaisans. Toutefois, à force d’être nécessaire, cette sincérité cruelle devient une qualité, et mieux vaut l’orgueil que l’hypocrisie.

Ainsi confinée dans la sphère du sentiment, la jeunesse se hâte de vouloir conclure sur une expérience qui commence à peine. Consumée par le besoin de vivre et d’agir, elle prend d’abord ses désirs pour des volontés, ses espoirs pour des certitudes. Enfin à la première rencontre qui lui donne lieu d’agir réellement, rencontre où d’ordinaire la volonté dépasse l’entraînement, où la part du cerveau est plus grande que la part du cœur, elle s’étudie curieusement et se juge avec non moins de sévérité. Qu’arrive-t-il alors ? C’est qu’après ce premier choc avec la vie réelle, le jeune homme, si empressé de conclure au début, se montre plus anxieux dans la recherche d’une solution. Il a reçu la terrible accolade de la réalité ; il découvre tout à coup de combien d’élémens complexes l’unité apparente de notre vie est composée, et au seuil de cette vie, le cœur blessé, il s’arrête déjà, regardant à l’horizon, hésitant plus que jamais sur le chemin qu’il va suivre, sans s’apercevoir que la vie elle-même l’emporte insensiblement, et qu’il va mourir sans connaître le sens de l’énigme, je ne dis pas pour ce qui regarde l’humanité, mais simplement pour ce qui le concerne. Cette triste analyse, nous ne la donnons pas seulement comme l’expression abstraite d’une réalité que nous avons pu observer : elle résume exactement les tendances de plusieurs jeunes écrivains et l’esprit de quelques essais récens que nous voudrions apprécier.

Le livre de M. Félix Rocquain, Lucy Vernon, se recommande tout d’abord par la simplicité du sujet, une grande sobriété d’épisodes et une certaine fermeté de style. Le sujet, c’est l’éducation d’un jeune homme par une honnête femme presque plus jeune que l’élève. Dans une telle situation, l’attrait et le danger sont les mêmes, aussi grands l’un que l’autre. Quelle est l’âme malade à qui Lucy Vernon prodigue sa compassion, qu’elle encourage de son doux regard, qu’elle soutient de sa douce main dans le rude chemin de la vie honnête et sérieuse ? Beaucoup, se reconnaîtront dans ce personnage. Sa vie est une véritable histoire de jeune homme pauvre, une enfance privée de mère, aigrie par les privations comme par les jalousies de la vie de collège ; puis l’adolescent est jeté dans le monde, où, malgré son intelligence, il ne peut faire un pas. Il se heurte à mille obstacles réels, sans compter ceux que lui créé son imagination, ces derniers bien plus difficiles à vaincre. Enfin il en vient à cet état maladif où l’inaction forcée finit par engendrer l’impuissance d’agir.

Une occasion s’offre à lui d’aller en Italie. Il part. Ici l’auteur a courageusement poursuivi son analyse. Au lieu de placer son héros sous le charme des chefs-d’œuvre qui l’entourent et du beau ciel qu’il contemple, il le montre surpris, puis irrité de ces beautés. L’intention est fine et juste. Jusqu’alors c’étaient les autres, les obstacles venant d’autrui, que cet esprit