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solennel, et propre à frapper l’esprit du pape par des idées et des raisons que probablement personne ne lui avait encore présentées. « Toute l’Europe savait, lui dit-il, que l’Espagne avait longtemps recherché cette alliance de l’Angleterre, qui d’abord, on ne pouvait l’ignorer, avait été offerte à la France. La France n’avait nullement troublé l’Espagne dans ses prétentions, et elle n’avait influé en rien dans la rupture éclatante qui était survenue depuis, lorsqu’on avait moins lieu de s’y attendre. Au surplus, la religion avait peu souffert en Angleterre de cette rupture; la différence du génie des Anglais avec celui des Espagnols aurait rendu ceux-ci peu utiles aux premiers; l’Espagne pouvait posséder quelques théologiens habiles dans la scolastique, mais elle n’en offrait point qui fussent versés dans la controverse. D’ailleurs la manière d’agir des Espagnols était plus propre à dompter les hommes par la force qu’à les gagner par l’amour, et à les abattre par l’autorité qu’à les attirer avec l’adresse dont la charité sait si bien user. Les Espagnols manquaient par conséquent de deux qualités qui semblaient nécessaires en Angleterre, où le parti de l’hérésie était plus puissant et plus savant que dans les autres parties du monde. Loin que ces inconvéniens fussent à craindre dans l’alliance française, il y avait tout lieu d’espérer que le sang de saint Louis, employé si généreusement à planter la foi chez les barbares, fructifierait encore davantage chez une nation polie et qui avait si longtemps marché sous les étendards de la même foi. Ne perdez pas, très saint-père, dit Bérulle en finissant, cette gloire que Dieu présente à votre siècle et à votre pontificat : c’est de l’Angleterre et pour l’Angleterre que je parle; ses douleurs et ses gémissemens me contraignent de hausser la voix; sa situation m’oblige à supplier votre sainteté de me pardonner si j’entreprends de vous représenter ce que la compassion que j’ai de ses malheurs me force d’ajouter. L’inclémence du siècle passé l’a jetée dans cet état; que la clémence de celui-ci l’en retire; que cette bonté, cette douceur, cette urbanité que vous portez gravées dans votre cœur, dans vos actions et jusque dans votre nom, apportent le remède à un mal qui n’a que trop duré. Permettez que je m’explique sans détour : c’est la précipitation d’un pape qui a blessé la nation pour qui je parle; qu’elle soit guérie par l’attention et la diligence d’un autre pape. C’est ce qui est attendu du roi très chrétien, espéré de tous et digne de la piété et de la gloire de votre sainteté. »

Le pape se montra touché : il déclara qu’il trouvait bon que le roi de France traitât avec le roi d’Angleterre, et qu’il était disposé à le seconder dans cette alliance; mais il ne pouvait se dispenser de faire examiner la question dans une congrégation de cardinaux; il aurait soin de les choisir agréables à la France, et le père de Bérulle serait admis à leur donner tous les éclaircissemens dont ils auraient