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pourrions le souhaiter. Du reste, pour ces affaires-là, je m’en réfère, comme vous me le permettez, je pense, à la dépêche générale, et j’en viens à nos questions personnelles. J’ai été ici l’espion le plus attentif à observer les intentions et les sentimens en ce qui vous touche. Je trouve beaucoup à craindre pour vous, et point de certitude d’un accueil sincère et sûr. Le (roi) persiste dans ses soupçons, en parle très souvent, et se laisse dire par les vilains que (la reine Anne d’Autriche) a des tendresses infinies, vous imaginez vers qui. C’est, dit-on, un propos courant parmi les jeunes et étourdis bravaches de la cour, qu’en présence de tous les bruits répandus, celui-là ne serait pas un bon Français qui souffrirait que (le grand-amiral Buckingham) revînt en France. Depuis mon arrivée, j’ai, dans la conversation, suggéré à la reine-mère l’occasion de parler de votre retour ici. Elle se plaignait à moi hier soir qu’en toutes choses on agît mal en Angleterre envers la France; j’ai répondu que c’était d’ici que venaient les plus mauvais et durs procédés, au point de vous interdire de revenir à Paris, chose si étrange et si injuste que le roi notre maître avait droit d’en être et en était très blessé. La reine-mère m’a parlé alors de vous, témoignant un grand désir que vous ayez pour sa fille, notre reine, du respect et de l’affection. Elle a ajouté qu’elle avait toujours prescrit et qu’elle prescrirait toujours à sa fille d’avoir pour vous plus de considération que pour personne, et de suivre toujours vos conseils, excepté en matière de religion. A cela, elle a joint beaucoup de protestations d’estime pour vous; mais elle n’a rien dit pour excuser le procédé dont je m’étais plaint, ni pour vous inviter à venir. Je ne puis donc, ni pour les affaires, ni pour votre sûreté personnelle, vous engager à venir; sachez pourtant que vous êtes à la fois le plus heureux et le plus malheureux homme du monde, car (la reine Anne d’Autriche) est pour vous au-delà de toute imagination, et ferait des choses qui la perdraient plutôt que de ne pas satisfaire son désir. Je n’ose parler comme je voudrais, et je crains d’en avoir trop dit, tant je sais quelles sont les mauvaises pratiques de ces gens-ci. Je tremble que cette lettre ne vous parvienne pas sûrement. Faites comme il vous plaira. Je n’ose vous donner un conseil : venir est dangereux, ne pas venir est bien malheureux. Ainsi que j’ai toujours vécu avec vous, et que j’y ai mis tout mon bonheur, de même je mourrai avec vous, et je vous rendrai, j’en jure devant Dieu, tous les services possibles.

« Post-scriptum. N’ayez aucun doute sur la personne qui m’a accompagné; elle est à vous de toute son âme, et dans l’état des choses elle n’ose vous conseiller de venir. »