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compte et mangea en souriant le gibier du roi, qui l’en remercia du regard. Quand ils entrèrent dans leur chambre, Charles s’empressa de congédier tout le monde et ferma avec soin, de sa main, toutes les portes. Il était digne et réservé dans la vie intime comme sur le trône. Ils passèrent deux jours à Cantorbéry, et firent le 26 juin leur entrée à Londres par la Tamise. Charles avait voulu que la reine vît d’abord sa capitale à travers la forêt de ses vaisseaux, non dans les rues étroites et tortueuses de la Cité. Il faisait très chaud, l’air était lourd ; un orage éclata, le tonnerre et l’artillerie des vaisseaux grondaient ensemble. La barque royale, escortée de plusieurs centaines de barques brillamment pavoisées, s’arrêta devant Somerset-House, palais que le roi Jacques avait assigné pour le domaine de sa femme Anne de Danemark, et qui l’était maintenant pour celui d’Henriette-Marie. On débarqua en présence d’innombrables spectateurs, toutes les cloches de toutes les églises étaient en branle, des feux s’allumèrent le soir dans les rues, la foule essayait de se réjouir ; mais l’aspect de Londres était sombre et le séjour périlleux : la peste y régnait avec violence, deux cent trente-neuf personnes en étaient mortes dans le cours de la semaine ; trente-deux paroisses étaient infectées. Le surlendemain même de son arrivée, le 28 juin, Charles se hâta d’ouvrir la session du parlement, convoqué depuis près de trois mois, et dont les affaires de son mariage avaient retardé la réunion. La jeune reine assista à cette cérémonie, assise sur le trône, à côté du roi ; mais peu de jours après ils quittèrent Londres pour aller s’établir, d’abord à Hamptoncourt, puis à Windsor. Dans ces premiers momens, les impressions d’Henriette-Marie sur l’Angleterre et de l’Angleterre sur elle étaient fort mêlées et incertaines ; cependant la satisfaction y prévalait. Quelqu’un, dont on ne dit pas le nom, demanda un jour à la reine, avec une familiarité indiscrète, si elle s’arrangeait bien d’un huguenot pour mari : « Pourquoi pas ? répondit-elle vivement ; mon père n’en était-il pas un ? »


VI.

Par cette parole, Henriette-Marie exprimait, à coup sûr sans en comprendre toute la grandeur, la pensée qui avait inspiré son mariage et présidé en France à toute la négociation. C’était la politique de Henri IV que la fille de Henri IV faisait triompher. Henri IV avait voulu pacifier la France en assurant aux protestans français la liberté religieuse, et affranchir l’Europe de la domination espagnole en formant l’alliance des états protestans autour d’un roi catholique, patron de la paix religieuse. Au sortir des guerres et des massacres de religion, il tenta d’établir la liberté religieuse dans l’ordre civil au sein de chaque état, et la paix religieuse dans l’ordre poli-