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une action assez marquée. Certes elle ne s’en servait pas pour prêcher la modération, et ce n’est pas ce dont il faut s’étonner; mais un reproche plus sérieux est d’avoir en quelque sorte organisé un système de déceptions auxquelles le public ne s’est que trop laissé prendre. Au lieu d’aborder résolument la situation, on eût dit qu’elle cherchait à griser le pays en se grisant elle-même. « La jeune Amérique ne faisait que commencer son éducation militaire, et déjà elle avait fait plus en un an que la vieille Europe en cinquante. Chaque jour, elle donnait au monde étonné une nouvelle leçon dans l’art de la guerre. N’eût-il pas suffi d’une douzaine de Monitors à Sébastopol pour faire en quelques jours ce qui avait exigé pendant une année les efforts combinés de la France, de l’Angleterre, de la Turquie et de la Sardaigne? » Le Monitor en effet fut longtemps un thème inépuisable. «Que ne l’avait-on eu trois mois plus tôt. L’affaire du Trent aurait eu une solution bien différente. Heureusement qu’à défaut de l’Angleterre, la France était là pour recevoir de la marine américaine le prix de son impertinente intervention au Mexique! » Et cent autres forfanteries aussi déplacées que l’on était tout surpris d’entendre le lendemain répétées aux quatre coins de la ville.

La marine américaine pourtant eût mérité qu’on lui épargnât ces éloges outrés, car, loin de se montrer au-dessous de sa tâche, elle avait incontestablement joué jusque-là le beau rôle dans la guerre, tant sur mer que sur les fleuves. Les tempêtes de l’hiver ne l’avaient pas empêchée de maintenir avec une remarquable efficacité le blocus des côtes ennemies, rude école qui rappelait par ses dangers les longues croisières des flottes anglaises sur nos côtes pendant les guerres du premier empire. C’était cette même marine qui, en quelques mois, du sein des récifs de la Floride, venait de faire sortir à Key-West tout un établissement militaire destiné à devenir le Gibraltar des passes de Bahama, et destiné peut-être aussi, après avoir servi de centre aux opérations de la côte sud, à remplir quelque jour le même rôle vis-à-vis de la Havane. Des noms presque inconnus la veille s’étaient soudain rendus familiers à chacun, car l’Américain a conservé de son origine anglo-saxonne une grande prédilection pour les choses maritimes. C’était Wilkes, dont les découvertes au pôle austral avaient coïncidé avec la dernière expédition de l’infortuné Dumont-d’Urville, Porter, dont le père a laissé de si beaux souvenirs dans les mers du sud lors de sa croisière sur l’Essex de 1812 à 1814, Farragut, qui n’avait pas hésité à sacrifier ses liens de famille à ses devoirs de citoyen[1], Foote

  1. La famille du commodore Farragut était à la Nouvelle-Orléans lorsque la flotte fédérale parut devant cette ville. Prévoyant la possibilité d’un bombardement, le commodore lui offrit à son bord un asile qui fut refusé. «Puisse votre première bombe tomber sur la maison de votre mère ! » fut la seule réponse qu’il obtint de cette dernière.