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enfin, dont la persistante énergie avait fait de la guerre de rivière un des principaux élémens de succès des armes fédérales; ce fut à lui que se rendit sur le Mississipi la célèbre île numéro dix que l’on avait tournée en creusant dans des bois marécageux, à travers la péninsule de New-Madrid, un canal de cinq lieues de long praticable à des vapeurs de plus d’un mètre de tirant d’eau! Les chefs expérimentés n’avaient donc pas manqué à la marine américaine, grâce à la loi d’ancienneté, qui seule y détermine l’avancement; mais dans les rangs inférieurs le besoin d’officiers se faisait grandement sentir, tant à cause de l’énorme extension des armemens que par suite des démissions données par les partisans du sud. On y remédia en puisant dans les cadres de la marine de commerce, et il se trouva que ces capitaines marchands se tiraient fort bien d’affaire à l’occasion. On manquait aussi de bâtimens, car le gouvernement fédéral, qui n’a jamais eu beaucoup de matériel naval, avait de plus commis l’imprudence d’en laisser tomber une grande partie entre les mains des gens du sud. Pour y obvier, on puisa encore à pleines mains dans la marine de commerce, et l’on ne saurait trop louer l’intelligence et l’activité avec lesquelles furent transformés les navires achetés dans cette intention. Les vapeurs seuls étaient au nombre de quatre-vingts. Ainsi furent armées ces canonnières que l’on vit bientôt se distinguer partout, sur la côte et dans l’intérieur des fleuves, qui tantôt appuyaient une attaque, comme aux forts Macon et Pulaski, tantôt arrêtaient l’élan des confédérés, comme à Williamsburgh, tantôt même, comme à Pittsburgh, se trouvaient fort heureusement à point pour empêcher un désastre complet. En même temps les inventions se multipliaient. Le Monitor, dont le hasard exagéra beaucoup trop l’importance, avait la bonne fortune et l’honneur d’inaugurer au feu les fastes des navires blindés. M. Stevens essayait sur l’Hudson une batterie flottante pouvant à volonté s’immerger jusqu’à être presque entièrement abritée sous l’eau. Un autre inventeur offrait de soumissionner à forfait la destruction du Merrimac. J’en passe et des meilleurs. Il y avait évidemment dans tout cela autant à laisser qu’à prendre, et ces inventions trahissaient souvent une grande inexpérience militaire, mais il ne résultait pas moins de là un fait et un enseignement. Le fait était non pas tant l’aptitude déjà connue des Américains aux choses de la mer que la rare souplesse avec laquelle leur marine s’était pliée aux circonstances insolites de cette guerre. L’enseignement était à l’adresse de l’Europe, trop portée à ne pas apprécier à sa juste valeur la