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répandues que celle d’opposer, aux États-Unis, les intérêts agricoles du sud aux intérêts manufacturiers du nord. La vérité est que le nord réunit ces deux sources de richesse, alors que le sud n’en a qu’une, et c’est avec un véritable étonnement que l’étude du recensement de 1850, le dernier qui ait été complètement publié, m’a montré combien les produits purement agricoles du nord l’emportaient sur ceux du sud. Qu’on me pardonne quelques chiffres, ils sont instructifs. Les Américains distinguent deux classes de produits agricoles, suivant qu’on les évalue au poids ou par mesures de capacité. Eh bien! dans la deuxième classe, représentée principalement par les céréales et les légumes, la production annuelle du nord s’élève à plus de 1 milliard 864 millions de francs, tandis que celle du sud ne va qu’à 1 milliard 626 millions. La première classe est plus intéressante, car on y trouve le coton, le sucre, le riz, le tabac, le foin, le chanvre, la laine, etc. Là encore, le nord, par une production de 1 milliard 136 millions, l’emporte sur les 822 millions du sud. Détail curieux : en foin seulement, les états libres offrent une récolte de 753 millions, supérieure de 19 millions à l’ensemble des récoltes de coton, de tabac, de riz, de sucre et de foin des états à esclaves. Enfin, dans l’estimation des fermes, ustensiles de travail et animaux domestiques, le nord l’emporte encore : 13 milliards 655 millions contre 7 milliards 908 millions. Le rapport reste dans le même sens, 21 milliards 741 millions contre 15 milliards 561 millions, si l’on envisage les propriétés non plus seulement agricoles, mais de tout genre, y compris les esclaves, pour les états du sud.

On voit que le nord est assez riche pour ne pas marchander les concessions et pour sortir de la voie étroite du protectionisme industriel et commerciale jour où l’épuisement forcera les deux partis à suspendre la lutte. Dieu veuille que ce jour luise bientôt, où la grande nation américaine, plus forte, plus sage et mûrie par l’adversité, reprendra le cours de son libre développement! Peut-être, dans les pages qu’on vient de lire, me suis-je parfois laissé aller à traiter sous une forme légère des sujets sur lesquels nos alliés d’outre-mer n’aiment pas la raillerie. J’aurais pu dépasser cette limite, car la société américaine, comme toute chose ici-bas. «Non-seulement ses ridicules, mais ses défauts, et je n’entends en rien me constituer son panégyriste. C’est un emploi qu’elle a souvent le tort de remplir mieux que personne; aussi est-il bon qu’elle sache combien, grâce à l’excessive bonne opinion qu’elle a conçue de sa supériorité en toutes choses, l’étranger est choqué des travers auxquels elle se complaît. D’ailleurs ces travers frappent plus vivement sur les