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lieux qu’ils ne le font plus tard, alors qu’au retour on envisage d’un coup d’œil plus rassis l’ensemble de ce monde si différent du nôtre. L’éloignement lui est favorable. Tant que l’on vit dans ce milieu, la nature particulière des défauts qui lui sont propres transforme en quelque sorte l’observateur en sensitive, et cela le plus souvent au-delà de la mesure qui serait raisonnable. À distance au contraire, les imperfections secondaires disparaissent, et les grandes lignes seules ressortent dans le tableau. On comprend que les défauts de cette société sont une conséquence naturelle de l’isolement dans lequel elle a forcément vécu, et de l’absence des traditions qui font partie du patrimoine d’un peuple européen. De près, au sein de ce désordre passé à l’état chronique, à la vue de troubles qui seraient critiques s’ils n’étaient permanens, et qui constitueraient en France un danger sérieux, on hésite à croire que ce soit la liberté que l’on a rêvée ; de loin, on se demande quel précieux et magique talisman est cette liberté qui permet à un peuple de vivre dans de pareilles conditions et d’y grandir. C’est là le principe qui rend les enfans de Washington respectables jusque dans leurs erreurs. Nul ne les admire plus que moi, nul ne leur est plus sympathique, nul ne forme de vœux plus sincères pour l’heureuse issue de la lutte où ils sont engagés. En essayant de retracer la physionomie de New-York pendant cette lutte, j’ai dû indiquer ce qui m’avait frappé en bien comme en mal ; mais jamais ma pensée n’a fait remonter l’origine des vices que je signalais jusqu’à la liberté, dont les États-Unis sont le plus glorieux sanctuaire, et j’ajouterai que nous, qui avons vu les tristes épreuves de 1848, nous avons moins que personne le droit de nous montrer sévères pour un peuple sur lequel s’est abattu le fléau de la guerre civile.

Nous n’avons jeté aujourd’hui sur la grande ville qui résume la civilisation américaine qu’un coup d’œil général ; pour la bien connaître, il faut interroger son régime, analyser son admirable système d’instruction primaire et secondaire, exposer les inépuisables ressources de sa charité, et tant d’autres institutions auxquelles elle doit sa puissante vitalité. Cette seconde étude nous montrera New-York sous son plus beau jour. Présenter sans parti-pris les choses telles que nous les avons vues, continuer à étudier les Américains plutôt que la question américaine, tel sera notre but. Notre titre est d’avoir vu, et notre seule prétention, celle d’être vrai.


E. DU HAILLY.