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que la conscience publique dut les envisager comme une véritable et amère expiation.

Pendant que la France travaillait à creuser une sorte de fossé entre sa propre révolution et celles qui pullulaient autour d’elle, l’œuvre de sa nouvelle constitution occupait seule les hommes politiques, et ceux-ci semblaient avoir oublié que, pour un pays plus persévérant dans ses habitudes que dans ses idées, il y a dans les souvenirs une puissance qu’on y attendrait en vain des théories. La constitution du 12 novembre 1848 a quelque droit aux égards dus aux puissances déchues; une appréciation sévère de cet acte manquerait donc aujourd’hui de convenance autant que de justice. Je doute d’ailleurs qu’en agissant autrement les constituans eussent pu préparer à leur œuvre des destinées sensiblement différentes, et faire remonter à l’opinion populaire le courant dans lequel elle s’était déjà si résolument précipitée.

La constitution républicaine s’éleva sur deux idées qui semblent s’y balancer comme pour se faire contre-poids. L’on voulait ne pas rompre violemment avec les traditions d’un pays façonné par la monarchie et respecter les mœurs nationales, auxquelles un gouvernement anonyme ou collectif aurait profondément répugné. De cette disposition plutôt encore que de l’imitation américaine sortit l’institution de la présidence. Dans un pays administrativement centralisé, comme l’est la France, un président possédant la plénitude du pouvoir exécutif[1] se trouve revêtu d’une puissance dont n’approche pas, même de loin, celle du chef de l’Union américaine, puisque le pouvoir de celui-ci est incessamment limité par celui des législatures locales. Quelques restrictions de détail qu’y apportât le texte de la constitution du 12 novembre, cette puissance se trouvait même être en fait beaucoup plus considérable que n’était celle de la royauté constitutionnelle, puisque l’article 68 déclarait le président personnellement responsable pour tous les actes du gouvernement au même titre que les ministres nommés par lui, et que le résultat nécessaire d’une pareille responsabilité était l’intervention directe et permanente du chef de l’état dans les affaires.

Mais en même temps que le chef du pouvoir exécutif était provoqué à l’action politique par la perte du bénéfice de l’inviolabilité, d’autres dispositions fondamentales de la constitution du 12 novembre venaient mettre en relief l’inquiétude profonde inspirée aux auteurs de la constitution républicaine par le pouvoir, même dont ils l’avaient investi. Le président, auquel appartenait la disposition exclusive de la force armée, ne pouvait la commander en personne; il donnait des bâtons de maréchaux sans pouvoir porter lui-même

  1. Constitution du 12 novembre, titre V, art. 43.