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lui-même. Ce n’était pas aux dieux conjurés que les fondateurs de la république pouvaient faire remonter la responsabilité de leur défaite. Les hommes de l’Hôtel de Ville, qui avaient presque amené à leur pensée les classes éclairées et libérales, allaient être vaincus par le peuple seul, dont ils avaient audacieusement préjugé la volonté; ils allaient l’être, parce qu’ils ajoutèrent à la témérité de leur entreprise une imprévoyance sans exemple. La commission exécutive et la majorité républicaine avaient estimé habile de remettre en vigueur, au lendemain du 15 mai, pour donner le change à l’opinion, les mesures qui atteignaient la maison de Bourbon, et d’appliquer aux princes de la branche cadette la loi de 1832 portée contre les princes de la branche aînée. Cependant, alors même que la république calfeutrait ainsi les portes de la France contre la monarchie, elle avait laissé ouvertes celles de l’assemblée. Sur ses bancs étaient venus s’asseoir trois membres d’une famille dont le rôle politique, commencé au 18 brumaire, s’était continué sur un trône élevé par ce suffrage populaire dont le rétablissement ne pouvait profiter qu’à elle seule, puisque cette dynastie était seule en mesure de l’invoquer en vertu de son principe.

Si, parmi les membres de la famille impériale, plusieurs s’étaient présentés aux électeurs comme de simples citoyens porteurs du plus grand nom des temps modernes, il en était un autre qui n’avait jamais décliné la qualité de prétendant, et auquel il aurait dès lors paru légitime et naturel d’appliquer les dispositions que le parti républicain venait de renouveler avec éclat contre d’autres exilés plus résignés ou moins redoutables. Le prince Louis-Napoléon n’avait jamais en effet ni douté du droit que lui conféraient les actes de 1804, ni hésité à le proclamer. Jeune et ignoré, il portait déjà sur son front le sceau de sa destinée, et son regard immobile semblait suivre dans l’ombre qui l’enveloppait encore l’étoile qui s’était levée sur son berceau. Dans l’ardeur dévorante, quoique impassible, de sa foi, il fit acte de prétendant à Strasbourg et à Boulogne, ne regrettant pas d’avoir interrompu, au prix de six années de captivité, la prescription de ce qu’il considérait comme un titre inaliénable, estimant d’ailleurs n’avoir pas payé trop cher l’occasion de faire arriver son nom au peuple en ajoutant un épisode à la légende impériale. Dans l’exil, il salua la révolution de février comme l’aurore de sa grandeur, s’inquiétant peu de la république, attendant tout du suffrage uni-