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versel, qu’elle était venue proclamer. Il put sans doute, suivant les phases diverses de la carrière que cette révolution ouvrit bientôt devant lui, désavouer l’emploi de la force et protester de bonne foi de ses intentions constitutionnelles; il put, pour rassurer les intérêts alarmés, dénier souvent des projets prématurés, qui ne se dessinaient encore pour lui que comme des éventualités lointaines; mais pour peu qu’on suivît, à travers les ambiguïtés de sa parole, le mouvement de cet esprit maître de lui-même dans toutes les fortunes, l’on pouvait acquérir la certitude que chez le représentant froidement convaincu de l’idée napoléonienne la foi ne défaillirait pas plus que l’espérance, et qu’à l’heure fatidique de sa vie il appellerait le peuple à décider de cet avenir dont il avait l’irrésistible pressentiment. Ce n’est pas de l’esprit, c’est de la foi seule qu’il a été dit qu’elle suffit pour transporter les montagnes. Il est des jours où un homme qui croit est à lui seul plus fort que toute une nation qui doute. Le prisonnier de Ham fut cet homme-là : sa confiance fit sa fortune, et sa persistance fut son génie.

Le vote du 10 décembre est une difficulté très sérieuse pour l’école résolue à reporter sur l’idée démocratique l’infaillibilité qu’elle refuse à l’idée religieuse, et qui n’hésite pas à appliquer au peuple l’adage inventé par l’Angleterre pour la royauté constitutionnelle : the king can not wrong. Quand on établit dogmatiquement que la démocratie ne peut ni errer ni se contredire, et que chaque révolution est un progrès nécessaire sur l’état de choses que cette révolution a renversé, l’on n’est pas sans quelque embarras pour concilier la manifestation populaire du 24 février avec la contre-manifestation plus populaire encore du 10 décembre; mais l’esprit, qui ne sert pas toujours à prévoir les événemens, n’est jamais inutile pour les expliquer, et de toutes les manières de masquer une défaite, la plus sûre est certainement de transformer cette défaite en victoire. C’est le tour de force que nous avons vu exécuter par la plupart des publicistes républicains appelés à porter un jugement historique sur l’élection présidentielle dans laquelle la France répondit à la république, qui lui demandait un Washington, en lui envoyant un Bonaparte. Si, pour certains écrivains démocrates, une pareille interprétation peut être inspirée par de honteux calculs, il est des théoriciens pour lesquels elle est l’expression désintéressée d’un système où toutes les contradictions apparentes se neutralisent et s’expliquent pai la loi du progrès indéfini.

« L’instinct des masses, dit un écrivain qui rencontre du moins l’originalité dans sa poursuite obstinée de la profondeur, l’instinct des masses vint révéler aux esprits attentifs l’étendue de cette révolution inaperçue du vulgaire. Rejetant le nom de Cavaignac et même celui de Ledru-Rollin, qui tous deux représentent à des de-