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grès différens la lutte politique, et sous lesquels il sent encore une certaine individualité dont il se méfie, le peuple des campagnes, que l’on voit pour la première fois apporter à l’exercice de son droit un intérêt vif, parce qu’il va créer dans l’état une force véritablement souveraine, donne à cette force un nom qui ne représente pour lui aucun parti, mais qui signifie victoire : victoire de l’égalité sur les privilèges, victoire de la démocratie sur les rois et les nobles, victoire de la révolution française sur les dynasties européennes. C’est là ce que, dans l’esprit du peuple, expriment de la manière la plus absolue le règne et le nom de l’empereur Napoléon, c’est là ce qu’il veut et croit faire revivre par l’élection de Louis Bonaparte[1]. »

Sans discuter ici cet ingénieux commentaire de l’élection présidentielle, en croyant d’ailleurs fermement à l’accord de l’idée démocratique avec l’idée napoléonienne, telle du moins qu’elle paraît comprise par le second empire, j’exprime le regret que l’auteur n’ait pas complété la série de ses antithèses, et qu’il ait oublié que si le nom sorti avec un tel éclat de l’urne populaire signifiait victoire de l’égalité sur le privilège, il signifiait beaucoup plus clairement encore victoire de la monarchie sur la république.

Au fond, le peuple s’inquiétait peu du système qui prévaudrait pour l’élection du président, et si la chambre avait ajourné cette élection jusqu’après l’achèvement des lois organiques, ou s’était réservé le droit de désigner elle-même le chef du gouvernement, une telle décision n’aurait provoqué dans le pays aucune sorte d’émotion ni d’étonnement; mais, une fois mises en demeure de s’expliquer, les classes agricoles reçurent et se renvoyèrent avec une rapidité électrique le contre-coup du même courant. La protestation la plus éclatante et la plus simple en effet à élever contre le gouvernement républicain, c’était à coup sûr une invocation directe au régime qui l’avait renversé. L’empire avait vu passer dans son camp toute la génération virile de 1848; les derniers reflets de sa gloire étaient tombés sur le front de ces citoyens obscurs, provoqués à concentrer dans un seul vote toutes leurs aspirations et toutes leurs inquiétudes. Le nom glorifié durant trente ans par les historiens, chanté par les poètes, incrusté dans le marbre et dans l’airain, était alors porté par un homme qui, aux deux élections de juin et de septembre, venait d’avoir l’heureuse fortune de voir les orateurs républicains signaler avec éclat le péril de son entrée à la chambre, sans qu’ils prissent d’ailleurs aucune sorte de mesures pour lui en fermer la porte. Bien loin de là, ces esprits prévoyans avaient confirmé par un redoublement de rigueur toutes les dispositions pénales exceptionnelles prises contre les anciennes familles souve-

  1. Histoire de la Révolution de 1848, par Daniel Stern, deuxième édition, t. II, p. 545.